COEUR DE PIERRE (Das kalte Herz) réalisé par Paul Verhoeven, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 5 novembre 2024 chez Artus Films.
Acteurs : Lutz Moik, Hanna Rucker, Paul Bildt, Paul Esser, Lotte Loebinger, Alexander Engel…
Scénario : Marieluise Steinhauer, Paul Verhoeven, Wolff von Gordon d’après le conte de Wilhelm Hauff
Photographie : Ernst Kunstmann & Bruno Mondi
Musique : Herbert Trantow
Durée : 1h40
Date de sortie initiale : 1950
LE FILM
Le charbonnier Peter Munch travaille dans la Forêt-Noire. Pauvre, sale et négligé, il est la risée des habitants du pays, et la main de la belle Lisbeth lui est refusée. Il va alors demander de l’aide au bon esprit de la forêt. Ce dernier lui accorde la richesse, qui va hélas considérablement changer son comportement.
À la base de Coeur de pierre, sous-titré La Légende de la Forêt Noire pour sa sortie en Blu-ray/DVD dans nos contrées, il y a un conte de l’écrivain et poète Wilhelm Hauff (1802-1827), dont on connaissait la transposition d’un autre récit, L’Histoire du Petit Muck, réalisé en 1953 par Wolfgang Staudte. On retrouve dans Das kalte Herz (littéralement « le coeur froid »), ou Peter le charbonnier (en Belgique), ou bien encore A Lenda da Floresta –La Légende de la forêt (au Portugal), les mêmes ingrédients, à savoir un récit initiatique marqué par des éléments fantastiques. Réalisé par Paul Verhoeven, évidemment non pas celui de RoboCop et Total Recall, mais son homologue allemand né au début du vingtième siècle, Coeur de pierre est un spectacle impressionnant (plus de quatre millions de marks ont été alloués à la production du film), qui s’adresse toutefois à un public averti, en raison d’éléments sombres, qui pourraient heurter la sensibilité des plus jeunes. L’esthétique renvoie parfois à un cauchemar éveillé, le personnage principal devient antipathique et glacial, un meurtre est commis, l’ambiance n’est pas à la gaudriole, mais le propos demeure universel et intemporel. Impeccablement mis en scène, très élégant, original, Coeur de pierre apparaît comme un chaînon manquant entre les univers de Charles Dickens et Roald Dahl, preuve de son indéniable qualité et mérite d’être découvert par le plus grand nombre.
Peter Munch vit au coeur de la Forêt-Noire et travaille à la fabrication de charbon de bois. Vivant très chichement, toujours couvert de poussière le faisant paraître sale, il est rejeté par les habitants de son village. Secrètement amoureux de Lisbeth, il ne peut donc lui demander sa main et s’en trouve très affecté. En un ultime recours, il implore l’esprit de la forêt, lequel lui accorde trois voeux. Devenu riche, Peter se fiance à Lisbeth et monte un atelier de soufflage de verre. Malheureusement, peu enclin aux choses financières, Peter dilapide bientôt sa fortune…
Paul Verhoeven dirige plusieurs centaines de figurants durant la fête au village qui ouvre le film en plan-séquence. La photographie en Agfacolor (vous savez, le même procédé chromatique de la trilogie Sissi) signée Ernst Kunstmann (un des chefs opérateurs de Metropolis, spécialiste des séquences à effets spéciaux) et Bruno Mondi (La Ville dorée, Casino de Paris, Les Trois Lumières) est somptueuse (il s’agissait du premier long-métrage allemand à profiter de cette avancée), les décors riches et magiques, le spectateur est plongé en plein conte « live », avec ses stéréotypes habituels, mais néanmoins nuancés, à l’instar de Peter, incarné par Lutz Moik, jeune premier allemand, alors au début de sa carrière (on le verra dans moult séries télévisées), dont l’empathie est mise à mal en raison de ses décisions et de son comportement pour le moins extravagants. En pensant agir dans le bon sens, autrement dit dans son intérêt personnel, Peter en viendra à vendre son âme, en offrant – au sens propre comme au figuré – son coeur, suite à quoi il deviendra riche et puissant. Du moins le pense-t-il. Car Peter, devenu un monstre à la peau livide, ne va plus penser qu’à l’argent, délaisser celle qu’il aime (la douce et patiente Lisbeth, interprétée par Hanna Rucker, dans son premier rôle au cinéma) et s’enfoncer toujours plus dans la violence, jusqu’à franchir le point de non-retour.
Cette plongée dans les profondeurs de la Forêt-Noire fonctionne encore aujourd’hui par sa rigueur, le sérieux avec lequel Paul Verhoeven raconte l’histoire de Peter, qui vit isolé avec sa mère dans une petite cabane forestière, jeune homme « mal né », sans le sou, jamais respecté, moqué. De ce fait comment Lisbeth pourrait-elle tomber amoureuse de lui ? C’est pourtant le cas, mais Peter, ayant aussi peu confiance en lui que les moyens de subsister, compte bien profiter d’une légende selon laquelle un « petit homme de verre » vit au fond de la forêt et exauce trois vœux à un « enfant du dimanche ». Après avoir récité le verset afin de convoquer le Schatzhauser, Peter voit deux souhaits être exaucés : pouvoir danser mieux que Hannes, le roi des pistes de danse du village, et avoir toujours autant d’argent en banque que le riche Ezekiel (Paul Esser, vu dans Les Lèvres rouges de Harry Kümel). Il exprime également le désir de posséder sa propre verrerie. Le petit homme de verre lui promet tout ce qu’il veut, mais lui reproche de ne pas avoir choisi avec soin. La suite lui donnera raison et Peter préférera se tourner dès lors vers Michel le Hollandais, ennemi du Schatzhauser, qui parvient à l’attirer et à lui offrir pleinement ce qu’il veut, en échange de son coeur qu’il exposera comme sur un tableau de chasse.
Cette production DEFA, studio et centre de production cinématographique public de la République démocratique allemande, énorme succès populaire à sa sortie (près de dix millions d’entrées), n’a rien perdu de son charme et l’on se laisse volontiers porter par ce récit qui renvoie aussi bien à l’innocence qu’aux peurs de l’enfance.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Coeur de pierre – La Légende de la Forêt Noire débarque chez Artus Films en Combo Blu-ray + DVD. Les deux disques reposent dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet et privilégiant étrangement Michel le Hollandais (qui ressemble étrangement à Bernard-Pierre Donnadieu) plutôt que Peter ou le petit homme de verre. Le menu principal est fixe et musical. À noter que l’éditeur sort en même temps (et dans la même configuration) Trois noisettes pour Cendrillon – Tri orísky pro Popelku de Václav Vorlíček, sur lequel nous allons également revenir très prochainement.
Artus Films livre la bande-annonce et le Diaporama habituel constitué d’affiches et de photographies d’exploitation, mais aussi une présentation du fidèle Christian Lucas (23’30). Comme d’habitude, ce dernier a extrêmement bien préparé son intervention et livre quantité phénoménale d’informations sur Coeur de pierre, « un film tout à fait unique et culte, une référence dans le genre […] une merveille, un enchantement pour les yeux ». Ainsi, Christian Lucas évoque l’adaptation du conte posthume de Wilhelm Hauff (ainsi que ses autres transpositions), les points communs et les différences entre le récit original et le long-métrage de Paul Verhoeven (sur lequel le journaliste revient aussi), les conditions de tournage, le procédé Agfacolor, les effets spéciaux, le casting et l’immense succès populaire de Coeur de pierre sont ainsi passés en revue.
L’Image et le son
Artus Films présente un nouveau master restauré HD de Coeur de pierre, restituant la magie et la beauté de l’Agfacolor, qui privilégie les teintes pastel, qui ressortent brillamment. Un aspect un peu meringué ou bonbon acidulé sur les séquences diurnes, qui ravit les mirettes. Le format 1.37 est respecté, la propreté éloquente (de mini-rayures et d’infimes poussières subsistent, mais subliminales), le cadre stable, les contrastes denses, l’ensemble lumineux et les décors bénéficient d’un relief sans doute inédit. L’image est tout à fait respectueuse des volontés artistiques originales.
Privilégiez la version originale aux sous-titres français non imposés, avec ses voix plus claires et ses effets plus nets et aérés. En français, les voix des comédiens sont mises trop en avant, artificielles même, malgré un mixage propre et clair. Dans les deux cas, la musique est dynamique et exploite au maximum les possibilités des pistes 2.0.
Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr