
CANICHE réalisé par Bigas Luna, disponible en Coffret Combo Blu-ray + DVD + Livre le 7 octobre 2025 chez Artus Films.
Acteurs : Àngel Jové, Consol Tura, Linda Pérez Gallardo, Cruz Tobar, Sara Grey…
Scénario : Bigas Luna
Photographie : Pedro Aznar
Durée : 1h26
Date de sortie initiale : 1979
LE FILM
Bernardo et sa sœur Eloisa vivent dans une grande maison héritée d’une vieille tante récemment décédée. Petit à petit, une étrange relation se met en place entre eux deux et Dani, un caniche un peu trop présent…

Bigas Luna, suite. Après le succès rencontré par Bilbao, le réalisateur enchaîne rapidement avec Caniche, inspiré par une anecdote personnelle de Salvador Dali. Celui-ci aurait confié à Bigas Luna que devant quitter l’Espagne franquiste de toute urgence, sa compagne Gala et lui auraient décidé de manger leur chien bien aimé, afin de « le garder avec eux », plutôt que de se résigner à l’abandonner. Allez savoir avec Daliiiiii si ce récit est vrai…S’il est sans doute plus vraisemblable de penser qu’il s’agissait d’un lapin, le cinéaste ibérique allait prendre ce souvenir comme point de départ de Caniche, l’un de ses films les plus controversés, et pour cause. Comme s’il pouvait enfin se permettre d’aborder encore plus frontalement certains sujets, Bigas Luna évoque rien de moins que les sujets de l’inceste et de la zoophilie. La critique de l’époque a d’ailleurs retenu uniquement les scènes plus choquantes de Caniche, et Dieu sait qu’elles le sont, sans chercher à comprendre où l’auteur souhaitait en venir. Huis clos asphyxiant où les deux personnages principaux vivent repliés sur eux-mêmes en compagnie d’un petit chien qui prend trop de place, Caniche évoque la résultante de quarante ans de régime totalitaire, qui a rendu les individus fous, déconnectés de la réalité, pervers, et qui ont survécu en s’adaptant comme ils le pouvaient, loin du monde extérieur comme ils l’étaient. Encore plus radical que Bilbao, Caniche décontenancera une bonne partie du public et le film, malgré le Prix de l’Âge d’or remporté en 1981 (récompense décernée par la Cinémathèque royale de Belgique et le musée du cinéma de Bruxelles), connaîtra un succès moindre que le précédent. Aujourd’hui, rétrospectivement, Caniche apparaît comme étant l’une des œuvres les plus dérangeantes de Bigas Luna, l’une des plus déconseillées aux âmes sensibles. En un mot, Caniche est aussi morbide qu’indispensable.


Dany, petit caniche d’un âge on imagine très avancé, est élevé par les frère et sœur Bernardo et Eloisa dans une grande maison, mais ses maîtres ont des pratiques alimentaires et sexuelles étranges. Cherchant à s’enfuir, ses inquiétudes augmentent quand Bernardo commence à jalouser le caniche et à muter vers un état bestial.


Non, même en lisant les divers résumés de Caniche, vous ne savez pas ce qui vous attend si vous ne l’avez pas encore vu. Bigas Luna montre ce qu’il faudrait calfeutrer, taire, oublier. Mais cela serait tellement simple. D’emblée, le metteur en scène et son chef opérateur Pedro Aznar, déjà à l’oeuvre sur Bilbao, instaurent une atmosphère froide, lugubre, austère, impression renforcée par l’intérieur de la demeure où habitent Bernardo (Àngel Jové, de retour après Bilbao) et Eloisa (Consol Tura, compagne de Bigas Luna, actrice occasionnelle, mais plus souvent créatrice des costumes et responsable de casting), sans âge, vieillis avant l’heure. Tout irait « pour le mieux », si Dany, ce « french poodle » ne prenait pas autant de place entre les deux. Bernardo semble jaloux de cette étrange relation, qui va plus loin qu’il le pense. En effet, au cours d’une scène restée célèbre dans la carrière de Bigas Luna et par ailleurs de son actrice principale, Eloisa s’enduit le sexe de miel et appelle son cher et tendre toutou pour venir lui…vous savez. On passe le temps comme on peut ma bonne dame !


Alors ce cher Bernardo ne trouve rien de mieux, et cela se passe sûrement comme cela depuis des années, que d’aller recueillir quelques chiens dans les chenils ou d’aller tout simplement enlever des chiens errants (ou pas), histoire de se soulager la panse (la cocotte minute siffle à plusieurs reprises pour signaler que la « ragoutoutou » est prêt) ou le bas-ventre. On vous l’avait dit, Caniche n’est pas à mettre devant tous les yeux.


Avec quelques références à Alfred Hitchcock, en particulier à Psychose avec cette bâtisse bourgeoise délabrée, à la piscine crasseuse, où le corps empaillé d’un chien trône fièrement dans le salon, Bigas Luna met en relief la mince frontière qui sépare l’homme de l’animal et l’animal de l’homme. Alors que Dany semble être le seul être vivant doué de raison, et qui cherche à prendre la poudre d’escampette à plusieurs reprises, Eloisa perd pied en se donnant corps et âme à la race canine (tout ce qui touche à Canopolis, lieu dédié à la mémoire des chiens, est à la limite de la dystopie), tandis que Bernardo s’enfonce dans la folie. Le final, ou la dernière confrontation entre le frère et la sœur, est aussi inévitable que foncièrement dérangeant. Ou quand un talon aiguille a pu inspirer un autre réalisateur espagnol, un certain Pedro pour ne pas le nommer, en le détournant de sa fonction première.


Le moins que l’on puisse dire, c’est que Caniche n’a rien perdu de son mordant (pas mal celle-là) et de son originalité. Avec ce drame psychologique anxiogène, souvent proche du film d’épouvante dans sa forme particulièrement immersive, Bigas Luna évoque le caractère irrévocable de la psyché humaine une fois que celle-ci a passé le point de non-retour. D’ailleurs, l’argent ne fait pas le bonheur et ne changera rien aux habitudes du « couple ». Autrement dit, ce n’est pas parce que l’eau de la piscine peut enfin être désinfectée avec du chlore, que cela nettoiera les traces d’un passé devenu indélébile.


LE COFFRET BLU-RAY + DVD + LIVRE
Cela faisait tellement longtemps qu’un éditeur ne s’était pas penché sur la filmographie de Bigas Luna ! Autant dire que nous sommes gâtés, puisqu’Artus Films propose un sublime coffret réunissant pas moins de trois long-métrages du réalisateur espagnol, Bilbao, Caniche et Lola, que nous chroniquerons un par un sur Homepopcorn. Les six disques, trois Blu-ray et trois DVD, reposent dans un Digipack conséquent constitué de quatre volets, glissé dans un fourreau cartonné, suprêmement élégant.

L’une des pièces-maîtresses de cette édition est un formidable et passionnant ouvrage intitulé Bigas Luna : La Période noire 1977-1987, conçu et écrit par le talentueux Maxime Lachaud. Le journaliste, essayiste, réalisateur et programmateur, auteur de Reflets dans un œil mort : Mondo movies et films de cannibales, Redneck movies : ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain, ou bien encore Mondo movies : reflets dans un œil mort, propose un livre de près de cent pages, entièrement consacré à Bigas Luna, son parcours, ses obsessions, ses films bien entendu aussi. Nous trouvons aussi un entretien avec Santiago Fouz-Hernández, que nous retrouverons en interview sur chaque titre de ce coffret. Spécialiste de Bigas Luna, celui-ci dissèque son cinéma, explique pourquoi son œuvre est si importante dans l’histoire du cinéma espagnol, aborde les différentes périodes, ses influences (Goya, Bunuel, Dali), son amitié avec Marco Ferreri, la vision du corps, l’imagerie catholique dans son cinéma, son attirance pour l’hypnose et d’autres éléments. Une vraie et grande plongée dans l’oeuvre d’un cinéaste culte, dont on espère voir arriver les autres (et nombreux) films, encore manquants dans les bacs français. Vous avez désormais entre les mains, l’un des coffrets indispensables de cette année 2025, au même titre que tout ce qu’Artus Films avait fait précédemment autour d’Eloy de la Iglesia. Le menu principal pour Caniche est fixe et musical.

Excellente initiative d’Artus Films, d’avoir rappelé l’excellent Eric Peretti, pour nous présenter chaque titre de ce coffret. Les présentations avec Bigas Luna ayant été faites sur son supplément de Bilbao, le programmateur au Lausanne Underground Film et Music Festival, ainsi qu’aux Hallucinations collectives de Lyon en vient donc directement à Caniche (10’). Le film est cette fois encore replacé dans la carrière du réalisateur, « Une période un peu particulière pour Bigas Luna, qui doit encore rembourser des dettes contractées sur son premier long-métrage Tatouage et qui n’a pas encore touché son argent suite au succès rencontré par Bilbao ». La genèse de Caniche (liée à une anecdote de Salvador Dali), le casting, les scènes controversées du film (qui allaient prendre le pas sur les sujets abordés par Luna), les références picturales (Goya, Velasquez), les thèmes du film, la récompense de Caniche à Bruxelles sont les autres points de ce segment.

Comme nous l’indiquions plus haut, nous trouvons une autre présentation du film, celle de Santiago Fouz-Hernández (13’). Le professeur d’études ibériques et cinématographiques à l’université de Durham au Royaume-Uni revient sur Caniche. Les thèmes du film, annoncés d’emblée par le générique qui symbolise la relation entre l’homme et l’animal, sont abordés, ainsi que le casting, l’accueil critique mitigé, la présentation de Caniche à la Quinzaine des réalisateurs, les inspirations picturales, tout est passé au peigne fin par l’excellent Santiago Fouz-Hernández.

L’interactivité se clôt sur une galerie de photos et d’affiches d’exploitation.
L’Image et le son
Caniche est un poil plus clair que Bilbao dans sa photographie. Surtout dans la seconde partie du film, quand le frère et la sœur ont hérité de leur tante et habitent désormais dans une demeure propre et nette. Les couleurs sont plus affirmées, par rapport au premier acte, très contrasté et aux teintes hivernales. La propreté de la copie est indéniable, le cadre stable, la texture argentique préservée et bien gérée. Blu-ray au format 1080p.

Le mixage espagnol est disponible en Linear PCM 2.0. Les ambiances sont riches et précises, sans bruit de fond. L’ensemble est propre, les dialogues clairs et nets, tout comme la musique lancinante.


Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr
