BERGMAN ISLAND réalisé par Mia Hansen-Løve, disponible en DVD le 3 novembre 2021 chez Blaq Out.
Acteurs : Mia Wasikowska, Tim Roth, Vicky Krieps, Anders Danielsen Lie, Melinda Kinnaman, Joel Spira, Anki Larsson, Gabe Klinger
Scénario : Mia Hansen-Løve
Photographie : Denis Lenoir
Durée : 1h48
Année de sortie : 2021
LE FILM
Un couple de cinéastes s’installe pour écrire, le temps d’un été, sur l’île suédoise de Fårö, où vécut Bergman. A mesure que leurs scénarios respectifs avancent, et au contact des paysages sauvages de l’île, la frontière entre fiction et réalité se brouille…
Tout est pardonné (2007), Le Père de mes enfants (2009), Un amour de jeunesse (2011), Eden (2014), L’Avenir (2016) et Maya (2018), une des plus belles filmographies de ces dernières années en France, celle de la réalisatrice Mia Hansen-Løve, définitivement inscrite dans le peloton de tête des auteures hexagonales avec Céline Sciamma, Léa Fehner et Katell Quillévéré. A travers toute son œuvre, bouleversante et universelle, la réalisatrice née en 1981 aborde souvent les thèmes de la séparation, du temps qui passe (et de la jeunesse envolée), des désillusions, de la solitude et du destin. Si Bergman Island n’a peut-être pas la force de ses autres films, la sensibilité à fleur de peau de la cinéaste transparaît à chaque plan, à chaque ligne de dialogue, à chaque non-dit. Lettre d’amour enflammée à Ingmar Bergman, ce film lumineux et même solaire, tourné sur les terres du metteur en scène suédois était sans doute inévitable dans la carrière de Mia Hansen-Løve, qui une fois de plus, au détour d’un regard brouillé par les larmes, par un silence prolongé, par une absence, ou par des gestes esquissés et retenus, hypnotise le spectateur. La digne héritière d’un cinéma vibrant, mélancolique, délicat, élégant et humain.
Deux cinéastes s’installent le temps d’un été sur l’île suédoise de Fårö pour écrire. Entre balades, projections et discussions sur Bergman qui y vécut, le couple découvre l’île et ses paysages sauvages. Dans ce décor réalité et scénario s’entremêlent dans une douce atmosphère.
On la savait très influencée par le cinéma d’Eric Rohmer depuis toujours, y compris par ses propres parents professeurs de philosophie, mais nous ne savions pas qu’Ingmar Bergman avait été l’une des pierres angulaires de la cinéphilie et donc l’un des catalyseurs de la vocation de Mia Hansen-Løve. Comme s’il était temps désormais de rendre hommage à celui dont les films l’ont poussé à passer elle-même derrière la caméra, la réalisatrice n’a pas hésité à se rendre sur la légendaire île isolée et sauvage de Fårö, située dans la mer Baltique, où le maître du cinéma suédois a puisé une grande partie de son inspiration et par ailleurs tourné quelques-uns de ses mémorables opus, À travers le miroir (1961), Persona (1966), L’Heure du loup (1968), La Honte (1968), Une passion (1969) et Scènes de la vie conjugale (1972). Il y rendra aussi son dernier souffle le 30 juillet 2007. Après la mise en scène plus élaborée et recherchée d’Eden, qui nécessitait la reconstitution d’une époque, celle des soirées électro des clubs parisiens des années 90 et 2000, Mia Hansen-Løve revient à une épure qui lui convient, ou plutôt qui lui correspond beaucoup plus. Son cinéma est celui de la nostalgie, de la langueur, des espoirs déçus, qui contrastent avec la clarté dans laquelle baignent les personnages. Bergman Island ne fait pas exception à la règle.
Bergman Island réunit un formidable casting composé de Tim Roth (même s’il se fait littéralement évincer par ses partenaires féminins), Anders Danielsen Lie (Oslo, 31 août de Joachim Trier, Fidelio, l’odyssée d’Alice de Lucie Borleteau, Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers, La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher), Mia Wasikowska (qu’on ne présente plus) et surtout Vicky Krieps, qui remplaçait alors Greta Gerwig au pied levé. Actrice luxembourgeoise, cette dernière avait déjà illuminé Phantom Thread de Paul Thomas Anderson et dernièrement Serre moi fort de Mathieu Amalric. Elle crève une fois de plus l’écran devant la caméra de Mia Hansen-Løve. Elle rejoint ainsi les héroïnes de la cinéaste précédemment incarnées par Constance Rousseau, Alice de Lencquesaing, Lola Créton, Isabelle Huppert et d’autres. Si Bergman Island glorifie évidemment Ingmar Bergman, la réalisatrice en profite aussi pour faire une critique sur le merchandising inévitable organisé autour, en évoquant la Fondation Bergman, la Bergman Week, le Bergman Center et même le Bergman Safari. Si on nous dit qu’un « pacte secret existe entre les habitants de Fårö de Bergman », il est indéniable que le nom du réalisateur fait vivre l’île et attire non seulement les cinéphiles, mais aussi les touristes curieux.
Mais Bergman Island est une déclaration d’amour d’une passionnée à celui qui a contribué à lui ouvrir de larges horizons, à lui faire découvrir une face cachée de la vie, à faire d’elle ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Quand Chris découvre que la chambre qu’elle va partager avec son époux Tony est celle que l’on voit dans Scènes de la vie conjugale, « le film qui a fait divorcer des millions de couples » nous dit-on, forcément, la scénariste et réalisatrice, celle du film, a comme l’impression de passer de l’autre côté du miroir, de traverser l’écran, de plonger corps et âme dans l’univers d’Ingmar Bergman. Pas étonnant que ses sensations soient bouleversées et que Mia Hansen-Løve en vienne à imbriquer la vie et le fantasme, le réel et l’imaginaire, la fiction et la réalité, en ayant recours au procédé du film dans le film. C’est là, à la 53e minute précisément, qu’apparaît Amy, le personnage incarné par Mia Wasikowska, qui emmène Bergman Island vers une autre intrigue, connectée à Chris, à son processus créatif, mais aussi à ses propres ressentis, qu’elle n’arrive pas à exprimer autrement ou à comprendre leurs significations.
La fin peut décontenancer, mais finalement elle s’avère logique si l’on prend le lieu principal de l’intrigue comme la Jupiter du système solaire de l’imagination de Mia Hansen-Løve, où les sentiments sont confus, s’entrecroisent, s’imbriquent, s’embrouillent et s’enchevêtrent. L’amour du cinéma imprègne chaque seconde de Bergman Island, confession à coeur ouvert d’une auteure à l’un de ses maîtres.
LE DVD
Bergman Island dispose d’une belle édition DVD chez Blaq Out. Le disque repose dans un boîtier Amaray classique et transparent, glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal est animé et musical.
Aucun supplément…
L’Image et le son
Blaq Out nous a concocté un très beau master de Bergman Island. La colorimétrie est habilement restituée, la clarté est de mise, le cadre large bien exploité. On excuse de sensibles pertes de la définition sur des plans plus lumineux, dénaturant quelque peu le piqué, puisque la copie demeure solide et permet de revoir le film de Mia Hansen-Løve dans d’excellentes qualités techniques.
Les mixages anglais et français Dolby Digital 5.1 proposent une plongée intimiste dans le film de Mia Hansen-Løve en usant avec parcimonie des ambiances latérales et une délivrance saisissante des dialogues sur la centrale. La musique jouit d’une jolie spatialisation, quelques effets naturels sont mis en valeur. L’éditeur joint aussi une piste Audiodescription, ainsi que les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants.