AUX POSTES DE COMBAT (The Bedford Incident) réalisé par James B. Harris, disponible en DVD et Blu-ray le 20 juin 2019 chez Rimini Editions
Acteurs : Richard Widmark, Sidney Poitier, James MacArthur, Martin Balsam, Wally Cox, Eric Portman, Michael Kane, Colin Maitland…
Scénario : James Poe d’après le roman de Mark Rascovich
Photographie : Gilbert Taylor
Musique : Gerard Schurmann
Durée : 1h42
Date de sortie initiale : 1965
LE FILM
En pleine Guerre Froide, un journaliste embarque pour un reportage à bord d’un navire de guerre américain. Lorsque les radars détectent un sous-marin soviétique, le capitaine décide de le prendre en chasse, contre l’avis de l’Etat-Major. Le moindre faux pas pourrait déclencher la Troisième Guerre Mondiale.
Pour ses premiers longs métrages, le nom de Stanley Kubrick dissimule celui de James B. Harris (né en 1928), producteur de L’Ultime Razzia – The Killing (1956), Les Sentiers de la gloire – Paths of Glory (1957) et Lolita (1962). En 1964, sort sur les écrans Docteur Folamour, ou: Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe – Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb dans lequel Stanley Kubrick évoque la peur du « rouge », l’angoisse d’une possible Troisième Guerre mondiale, sur le mode humoristique. Grand ami du cinéaste, James B. Harris, voulant passer lui-même derrière la caméra, décide de reprendre ce thème, mais en adoptant un autre ton. Ce sera Aux postes de combat – The Bedford Incident, adaptation d’un roman de Mark Rascovich, produit et interprété par Richard Widmark, un grand film oublié et drame de guerre placé sous une tension permanente dans lequel les comédiens rivalisent de charisme et se livrent à de fabuleux numéros. Il s’agit aussi de la première apparition au cinéma de l’immense Donald Sutherland.
Durant la guerre froide, peu après l’affaire de Cuba, Finlander, capitaine d’un destroyer de la Marine américaine traque un hypothétique sous-marin de la Marine soviétique dans l’Arctique, aux abords des côtes danoises. Finlander, aussi autoritaire qu’individualiste, secondé par « l’un des meilleurs capitaines de la Kriegsmarine », collaborant désormais avec l’OTAN, dirige un équipage efficace mais au bord de la rupture. Pour un reportage, Munceford, un journaliste, est héliporté à bord du destroyer…
Ou comment l’obstination d’un seul homme menace la vie de plusieurs dizaines d’autres individus. Aux postes de combat renvoie à la paranoïa qui s’emparait du monde et plus particulièrement des Etats-Unis après la crise des missiles de Cuba est sa suite d’événements survenus du 16 octobre au 28 octobre 1962. A ce titre, l’immense Richard Widmark, monstre de cinéma, prête ses traits au capitaine Finlander, homme froid, glacial même, capable de fusiller un homme du regard et donnant ses ordres avec une économie de moyens. Le comédien, très impliqué dans The Bedford Incident puisque également producteur aux côtés du metteur en scène et de Denis O’Dell (Quatre garçons dans le vent) campe un personnage trouble et ambigu, synthèse des angoisses, des frustrations et du désir d’en découdre avec « l’ennemi » qu’il a quasiment créé de toutes pièces.
Face à Richard Widmark, Sidney Poitier, qui venait de remporter l’Oscar du meilleur acteur pour Le Lys des champs – Lilies of the Field de Ralph Nelson et qui avait déjà donné la réplique à Richard Widmark dans La Porte s’ouvre – No Way Out (1950) de Joseph L. Mankiewicz, observe le comportement mégalomane et obsessionnel, les décisions et les agissements de Finlander à travers son appareil photo qui ne le quitte pas. Il sera le premier à se rendre compte que le capitaine court après une chimère, le vide, ou presque. Car James B. Harris est suffisamment malin pour nous faire douter à plusieurs reprises sur le dessein de ce sous-marin pris en filature par le destroyer.
Durant 100 minutes, le cinéaste suit l’itinéraire de ces hommes avec une réalité quasi-documentaire, à l’instar de l’arrivée héliportée de Ben Munceford et du Lt. Cmdr. Chester Potter, filmée caméra au poing, avec l’usage limité de transparences. Tel un huis clos sur une mer déchaînée où le vent frigorifique vient fouetter les visages de l’équipage, Aux postes de combat resserre son étau à mesure que le capitaine Finlander perd pied devant ses hommes et les spectateurs. L’acte final, incroyable, nous prend à la gorge. D’un pessimisme rare, impression renforcée par la photographie N&B du chef opérateur Gilbert Taylor, la toute dernière scène choque autant qu’elle marque les esprits avec un parti pris qui sera plus ou moins repris par Monte Hellman pour le plan ultime de Macadam à deux voies – Two-Lane Blacktop (1971). On reste bouche-bée par ce dénouement sombre et implacable, qu’on se prend alors comme un coup de poing dans la gueule et dont le silence qui s’ensuit nous fout le ventre en vrac.
James B. Harris ne réalisera que cinq films dans sa carrière. Outre ce formidable premier long métrage, excellemment réalisé, citons également Cop, première adaptation d’un roman de James Ellroy au cinéma, transposition de Lune sanglante, avec James Woods dans le rôle du flic désabusé du LAPD Lloyd Hopkins. Un film devenu culte qui démontre une fois de plus le talent de James B. Harris pour créer le suspense. Un metteur en scène à réhabiliter.
LE BLU-RAY
Inédit dans nos contrées en DVD et bien sûr en Blu-ray, Aux postes de combat fait son apparition chez nos amis de Rimini Editions. La jaquette au visuel rétro et efficace est glissée dans un boîtier classique de couleur noire, lui-même glissé dans un surétui cartonné élégant liseré vert. Le menu principal est animé et musical.
Outre la bande-annonce d’époque, nous trouvons la masterclass de James B. Harris (38’) filmée en octobre 2014 à la Cinémathèque Française, à l’occasion de la rétrospective de ses films et suite à la projection de Some Call it Loving (Sleeping Beauty). Forcément, l’essentiel des questions du grand gourou Jean-François Rauger et des spectateurs tourne autour de sa collaboration avec Stanley Kubrick. Visiblement très ému de voir ses films reconsidérés, James B. Harris répond longuement et revient notamment sur la genèse d’Aux postes de combat, sur ses collaborations avec James Ellroy, Cop, dont nous parlons plus haut, mais également Le Dahlia noir de Brian De Palma qu’il a produit.
L’Image et le son
Nous voici devant un master français, comme l’indiquent les credits en ouverture ! La propreté de ce Blu-ray est très appréciable, la luminosité éloquente, le piqué étonnant sur les nombreux gros plans, tandis que le grain argentique est heureusement préservé et par ailleurs très bien géré. Les contrastes sont costauds et seuls les détails varient selon les conditions de prises de vues, sur transparence, en live ou face à des maquettes. Quelques stock-shots rapides sont évidemment moins ciselés, mais cela reste anecdotique. Notons qu’Aux postes de combat est ici proposé en Blu-ray pour la première fois au monde.
Les deux versions 2.0 proposées instaurent un confort certain et quasi-identique, même si le volume des voix prédomine en version française, où l’on reconnaît celle inimitable du grand Michel Gatineau, qui double Richard Widmark. En anglais, les bruitages, les dialogues et la musique sont plus harmonieux, mais dans les deux cas les mixages sont propres et dynamiques. Les sous-titres français ne sont pas imposés.