AU COEUR DE MINUIT (Heart of Midnight) réalisé par Matthew Chapman, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Jennifer Jason Leigh, Brenda Vaccaro, Jack Hallett, Nicholas Love, James Rebhorn, Tico Wells, Sam Schacht, Nina Lora, Steve Buscemi, Frank Stallone, Denise Dumont, Peter Coyote…
Scénario : Matthew Chapman
Photographie : Ray Rivas
Musique : Yanni
Durée : 1h33
Date de sortie initiale : 1988
LE FILM
Carol est une femme ayant récupéré d’une récente dépression nerveuse. Elle vient d’hériter de « Midnight », une boîte de nuit anciennement détenue par son oncle, le regretté Fletcher. Elle quitte le domicile familial et entreprend de rénover le Nightclub. Cependant, elle découvre rapidement que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être… par le passé, une section du club semble avoir été réservée à une clientèle libertine et sadomasochiste.
Plus connu comme scénariste (Jeux d’adultes – Consenting Adults de Alan J. Pakula, Color of Night de Richard Rush, Le Maître du jeu – Runaway Jury de Gary Fleder) que comme réalisateur, Matthew Chapman (né en 1950) n’a il est vrai que peu tourné. Pourtant, dans sa poignée de films et téléfilms se distingue Au coeur de minuit – Heart of Midnight, drame psychologique indéniablement sous influence de David Lynch dont le Blue Velvet a semble-t-il laissé quelques traces et qui annonce étrangement d’autres opus du cinéaste à venir comme Lost Highway (1997) et Mulholland Drive (2001). Au centre de Heart of Midnight, une comédienne, immense, magnétique, qui aura d’ailleurs attendu 2017 (la série Twin Peaks: The Return) pour tourner pour David Lynch avec lequel elle se devait de collaborer, Jennifer Jason Leigh, qui n’a eu de cesse d’impressionner et ce depuis sa première apparition au cinéma dans Appels au meurtre – Eyes of a Stranger de Ken Wiederhorn en 1981. Elle explose littéralement durant cette décennie et se montre tout aussi géniale dans la comédie (Ça chauffe au lycée Ridgemont – Fast Times at Ridgemont High d’Amy Heckerling) et l’aventure médiévale (La Chair et le Sang – Flesh and Blood de Paul Verheoeven), avant de bifurquer vers le thriller avec le mythique Hitcher de Robert Harmon. Dans Heart of Midnight elle crève l’écran une fois de plus et trouve l’un de ses rôles comme qui dirait matriciel, celui d’une jeune femme névrosée, fragile, dépressive, hyper-sensible, prête à sombrer définitivement dans la folie. Avec son récit labyrinthique, écrit par Matthew Chapman lui-même, Heart of Midnight entraîne le spectateur dans une spirale infernale, une psyché perturbée, les méandres d’un esprit malade et offre indiscutablement à sa tête d’affiche l’un des plus beaux et grands rôles.
Carol est une jeune femme qui se remet de sa récente dépression nerveuse, qui d’ailleurs n’était pas la première. Elle vient d’hériter de son oncle mystérieux, une discothèque appelé « Midnight », située dans un quartier désormais miteux. Contre l’avis de sa mère Betty de simplement vendre la propriété, Carol s’engage non seulement à rouvrir le club, mais elle y emménage également. Alors qu’elle s’installe, elle découvre des pièces étrangement conçues et des sections « spéciales » du bâtiment, se rendant vite compte que le club était en fait un bordel, s’adressant à des clients aux tendances sexuellement perverses. Lors de sa première nuit, trois hommes à l’extérieur du bâtiment repèrent Carol à travers la fenêtre. La regardant se changer se déshabiller, les hommes découvrent que la porte d’entrée est ouverte. Prenant cela comme une invitation, les trois individus entrent dans le bâtiment et entreprennent de la violer à tour de rôle. Mais l’un d’eux, pris de remords, permet à Carol de s’échapper. La police arrive et tire sur celui qui a déjoué l’attaque. Par la suite, la police apprend le passé psychologique de Carol, commence à douter de sa version des événements et dit à Carol qu’elle sera contactée par le lieutenant Sharpe. Peu de temps après son retour au club, elle trouve un autre homme non invité qui l’attend. Lui demandant s’il est le lieutenant Sharpe, il la rassure sur ce fait. Il lui prouve également qu’il en sait beaucoup sur Fletcher et le club. Bien qu’il soit plus sympathique que les autres policiers, ses révélations sur l’oncle Fletcher conduisent Carol à l’expulser avec colère du bâtiment. Peu de temps après le départ du visiteur, un autre arrive – il s’avère être le véritable lieutenant Sharpe.
Matthew Chapman déjoue constamment les attentes, fait perdre ses repères aux spectateurs, jongle avec les genres, les embarque pour une expérience cinématographique à part entière, tout en flattant les sens des cinéphiles à travers un récit qui lie à la fois le film noir et le fantastique, avant de le ramener à une histoire purement dramatique centrée sur un trauma d’enfance. Outre un script en béton armé, Au coeur de minuit subjugue par son travail de titan sur l’image avec une splendide photographie signée Ray Rivas, dont il s’agit visiblement du seul travail réalisé pour le cinéma, sur le son avec la musique hypnotique de Yanni, immense compositeur grec, qui lui aussi n’a que peu touché au monde du septième art.
Heart of Midnight est ainsi une somme de talents réunis, une production Andrew Gaty (éphémère à Hollywood), un voyage tortueux dans lequel on embarque volontiers et dans lequel on se perd aux côtés de la douce et belle Carol. Les événements qui se déroulent autour d’elle sont-ils le fruit de son imagination, le fantôme de son oncle décédé continue-t-il de rôder dans les couloirs rouges de son établissement ? Si l’on se doute très rapidement de ce qui a rendu Carol fragile comme du cristal ébréché, on imagine également que ce que son cerveau avait refoulé va refaire surface, un passé qu’elle avait « mis de côté », pour avancer (péniblement) dans la vie, une existence qui se résume par deux condamnations pour usage de drogue, des accusations pour agressions imaginaires, de viol notamment. Carol n’a jamais supporté qu’on la touche et a même blessé grièvement à l’oeil son petit ami qui se montrait trop entreprenant avec elle, un « incident » qui l’a fait se replier sur elle-même, au point de devenir sourde. Alors, quand elle décide de reprendre les affaires de son oncle (« un entrepôt, un bar clandestin, un tripot, un restaurant, une boite de nuit » indique un ouvrier à Carol) qui se complaisait dans la fange, ce petit de bout de femme va voir ses derniers espoirs de nouvelle vie volés en éclats.
Outre Jennifer Jason Leigh, à se damner, on retiendra aussi la participation de Brenda Vaccaro (Supergirl, Capricorn One, Macadam Cowboy, Airport 77 : Les naufragés du 747), James Rebhorn (The Box, Loin du paradis, The Game, Independence Day), Steve Buscemi (dans l’un de ses premiers rôles), Frank Stallone (clone de son frère Sly) et surtout de Peter Coyote, alors entre Un homme amoureux de Diane Kurys et Lunes de fiel – Bitter Moon de Roman Polanski, déjà présent dans Strangers Kiss du même metteur en scène (dans lequel il campait rien de moins que Stanley Kubrick), impeccable en flic (ou non) mystérieux et épris de Carol dès le premier regard.
Avec un budget qu’on imagine restreint, Matthew Chapman redouble d’imagination derrière la caméra, explore chaque recoin de son incroyable décor, titille les nerfs d’un public trop heureux de se laisser porter par cette proposition originale de cinéma et d’être caressé dans le sens opposé du poil. Le seul bémol provient peut-être de la révélation, mais la danse finale laisse planer beaucoup d’ambiguïté pour faire de Heart of Midnight, sélectionné à Avoriaz, primé au Festival de Sitges, un grand film qui restera longtemps dans notre mémoire. Fondu au rouge.
LE BLU-RAY
Jusqu’à présent inédit dans les bacs français (du moins en DVD et HD), Heart of Midnight débarque directement en Haute-Définition chez Le Chat qui fume. Le Blu-ray repose dans un boîtier Scanavo. Mention spéciale à la jaquette, très classe, reprenant l’un des visuels d’exploitation d’origine. Le menu principal est animé et musical. Édition limitée à 1000 exemplaires et à la vente sur le site de l’éditeur.
Aux côtés de la bande-annonce, nous trouvons 26 minutes de scènes coupées ou alternatives. Comme un panneau en introduction l’indique, celles-ci proviennent d’un premier montage, jugé trop long. De longues séquences de dialogues ont été coupées, ainsi que divers plans anecdotiques. Ce qui change essentiellement ici, c’est avant tout le générique de début, centré sur une des vidéos filmées dans l’antre de l’oncle pervers, ainsi que tout le prologue. Nous découvrons Carol, vivant chez sa mère. Pendant que la seconde parle de tarte aux pommes avec une amie (le fruit récurrent est ainsi présenté d’entrée de jeu), Carol, au bord de la crise de nefs, s’empare d’une statue qu’elle place dans le broyeur de l’évier. On apprend à ce moment-là que Carol a fait une dépression, alors qu’un avocat débarque pour lui annoncer qu’elle vient d’hériter du club de son oncle. Sa mère voudrait qu’elle revende l’établissement, mais Carol décide de le rouvrir après les travaux. Elle part ensuite de la maison. La séquence de l’agression sexuelle comporte des plans non utilisés dans le montage final, on découvre aussi que la mère de Carol vient lui rendre visite. On y voit aussi Marianna découvrir une VHS dans une poubelle en face du club, un final différent (on apprend surtout quel est le troisième point mystère murmuré par Sharpe à l’oreille de Carol)…À noter que le montage plus long du film était paru en DVD aux États-Unis et que certaines de ces scènes étaient présentes dans la bande-annonce originale.
L’Image et le son
Heart of Midnight trouve une vraie fraîcheur avec ce master HD, qui frôle d’ailleurs la perfection. La propreté est déjà très agréable, les contrastes certes un peu légers mais bien équilibrés, les séquences diurnes sont claires, les gros plans nets et précis, et la colorimétrie est renforcée. Si le piqué manque parfois de mordant et la profondeur de champ de détails, l’image affiche un joli grain cinéma, les ambiances nocturnes demeurent solides et la photo, flatteuse pour les mirettes, participe grandement à la redécouverte de ce thriller. Le Blu-ray est au format 1080p.
Les deux mixages anglais et français uniquement présentés en DTS HD Master Audio 2.0 ne manquent pas de clarté, même si la version originale s’avère plus dynamique que son homologue. Belle présence de la musique Yanni et les effets sonores sont percutants.