
1984 (Nineteen Eighty-Four) réalisé par Michael Radford, disponible en Combo 4K Ultra HD + Blu-ray + Livret depuis le 18 décembre 2024 chez Rimini Éditions.
Acteurs : John Hurt, Richard Burton, Suzanna Hamilton, Cyril Cusack, Gregor Fisher, James Walker, Andrew Wilde, David Trevena…
Scénario : Michael Radford, d’après le roman de George Orwell
Photographie : Roger Deakins
Musique : Dominic Muldowney & Eurythmics
Durée : 1h50
Date de sortie initiale : 1984
LE FILM
Manipulant et contrôlant les moindres détails de la vie de ses sujets, Big Brother est le chef spirituel d’Oceania, l’un des trois États dont la capitale est Londres. Le bureaucrate Winston Smith travaille dans l’un des départements. Mais un jour il tombe amoureux de Julia, ce qui est un crime. Tous les deux vont tenter de s’échapper, mais dans ce monde cauchemardesque divisé en trois, tout être qui se révolte est brisé.

Dans toute bibliothèque normalement constituée trône habituellement un roman, 1984 écrit par George Orwell (1903-1950), dystopie publiée en le 8 juin 1949, sans doute l’un des livres les plus commentés et analysés de tous les temps. Nul besoin de disséquer cet ouvrage, d’ailleurs, nous n’aurons pas l’outrecuidance de contredire ou de seulement affirmer que nous sommes d’accord avec les théories d’un tel ou un autre. Nous nous focaliserons ici sur l’adaptation cinématographique la plus célèbre du roman, à savoir celle réalisée par Michael Radford en…1984. Avant cette transposition, 1984 aura déjà inspiré la petite lucarne et ce dès 1954 avec un téléfilm signé Rudolph Cartier, qui fit scandale outre-Manche par sa radicalité. Deux ans plus tard, c’est sur le grand écran que 1984 fait son apparition dans le film cette fois encore éponyme mis en scène par Michael Anderson (Le Tour du monde en quatre-vingts jours, Le Secret du rapport Quiller, L’Âge de cristal, Orca), dans lequel on reconnaît Michael Redgrave et Donald Pleasence. D’autres moutures plus tard et nous voilà revenus à celle qui nous intéresse aujourd’hui. Michael Radford s’empare du livre de George Orwell et s’approprie seul le propos dense de l’écrivain, pour livrer son point de vue, sa vision, son interprétation. Et le résultat est magistral du début à la fin, immersif, anxiogène, inoubliable, sur le plan formel, ainsi que par l’interprétation virtuose de John Hurt, qui dans la peau de Winston Smith, signe l’une de ses plus grandes prestations. L’épilogue de 1984 version Radford, est de ceux qu’on n’oublie pas.


En 1984, le monde est dominé par trois grandes puissances, qui se livrent une guerre perpétuelle depuis trente ans : l’Océania, l’Estasia et l’Eurasia. L’action se déroule en Océania, qui correspond au monde anglo-saxon. L’État est dirigé par un parti unique qui, trente ans auparavant, est arrivé au pouvoir lors d’une « glorieuse révolution » et a instauré un régime collectiviste et totalitaire, dénommé l’« AngSoc ». Le Parti est personnifié par le visage de Big Brother, meneur de la révolution, dont le portrait est omniprésent. La société est répartie en trois catégories : les membres du « Parti intérieur », les dirigeants, les membres du « Parti extérieur », employés à tous les niveaux dans les fonctions du Parti, et les « Prolétaires », la majorité de la population, qui vit dans des zones qui sont interdites aux membres du Parti. Le Parti, pour pérenniser son pouvoir, ne se contente pas de contrôler les faits et gestes par des télé-écrans qui surveillent tous les espaces de la vie privée des membres du Parti, il vise surtout le contrôle de la Pensée. Pour atteindre cet objectif, il utilise plusieurs moyens : une propagande continuelle contre les ennemis du Parti, l’élaboration d’une Novlangue, qui réduit chaque année un peu plus le vocabulaire, la transformation du passé et des archives. Chacun sait qu’il existe, en outre, une mystérieuse et terrifiante « Police de la Pensée ». Winston est un membre du Parti extérieur. Son travail consiste à mettre à jour les archives du quotidien Times, c’est-à-dire à les modifier en fonction des ordres qu’il reçoit. Il lui arrive même de devoir inventer de toutes pièces un héros pour remplacer un article concernant un ancien dirigeant du Parti tombé en disgrâce et dont les traces doivent donc disparaître. Il y a sept ans, Winston s’est rendu en zone prolétarienne et, dans une petite boutique, a acheté un cahier qu’il cache depuis chez lui et dans lequel il livre ses observations, ses sentiments et ses interrogations. Un jour, il se rend compte qu’une jeune fille l’observe étrangement. Ce qu’il sait d’elle n’a rien de rassurant. Elle fait partie de la « Ligue Anti-sexe », une organisation du Parti dont le but est de décourager les relations sexuelles, de promouvoir le célibat et de faire baisser le taux de mariages. Les scientifiques du Parti ont reçu pour mission de rechercher les moyens de faire disparaître l’orgasme, dont le caractère incontrôlable pourrait à terme représenter une menace. Sinistre ironie, la jeune fille travaille dans un service où des machines fabriquent des récits pornographiques destinés aux Prolétaires qui, eux, ne sont pas ciblés par l’endoctrinement permanent. La jeune fille, Julia, finit par faire parvenir à Winston un mot d’amour. Une nouvelle vie commence avec cette relation amoureuse qu’ils doivent tenir secrète.


Et ce n’est qu’un début. Ou une fin. Mais plus rien ne sera ou ne saurait être comme « avant ». Ce qu’il y a d’étonnant quand on pense à 1984, beaucoup d’entre nous évoquent une « adaptation » qui ne sortira que l’année suivante, Brazil de Terry Gilliam, qui fait le pont entre George Orwell et Franz Kafka. Pourtant, dans 1984 de Michael Radford, tout est déjà là et l’on ressort de cette expérience sensorielle, aussi rassasié intellectuellement qu’exténué physiquement. On a beau connaître le livre original, ce qui est d’ailleurs conseillé pour aborder le film, même si cela n’est absolument pas indispensable, on se prend à espérer que l’idylle entre Winston et Julia vaincra, comme quand par exemple ils louent une chambre dans la boutique que Winston connaît, située en zone prolétarienne. Julia, rusée et débrouillarde, arrive à dénicher des produits devenus introuvables dans cette période de rationnement, comme du café ou du vrai sucre.


En parallèle, Winston se persuade qu’un de ses supérieurs hiérarchiques, O’Brien, membre du Parti intérieur, serait membre de la « Fraternité », une organisation de résistance dirigée par la figure de Goldstein, censé être un ancien compagnon de Big Brother passé à la trahison. Pourtant, il ne connaît de cette mystérieuse organisation et de son supposé leader que ce que la propagande du Parti en dit. Malgré l’avis de Julia, qui est convaincue que ni Goldstein ni la Fraternité n’existent ailleurs que dans la propagande du Parti, Winston se rend chez O’Brien, où il se voit confier le livre de Goldstein, Théorie et pratique du collectivisme oligarchique, qu’il doit lire et assimiler avant de pouvoir participer à la résistance.


Et c’est là que comme les personnages, nous sommes rappelés à la « réalité », quand Winston et Julia sont arrêtés par la Police de la Pensée. Toutes les images, les scènes, les émotions qui ont marqué plusieurs générations de spectateurs, proviennent des séquences qui se déroulent au Ministère de la Vérité, où Winston est torturé par O’Brien, qui le surveille depuis plusieurs années…Si John Hurt (qui sortait de Osterman week-end – The Osterman Weekend de Sam Peckinpah) aurait bien mérité d’être nommé aux Oscars, son partenaire Richard Burton n’a rien à lui envier dans son ultime rôle au cinéma, qui décédera avant la sortie du film, à qui le film est d’ailleurs dédié. Il en va de même pour Suzanna Hamilton, précédemment vue dans le sublime Tess de Roman Polanski et que l’on reverra dans Out of Africa : Souvenirs d’Afrique de Sydney Pollack, épatante de vérité.


Outre son propos, toujours brûlant d’actualité quant au libre-arbitre, à la liberté de penser, 1984 restitue le monde désincarné dressé par George Orwell 35 ans auparavant et dans lequel déambule, survit le matricule 6079. Les décors d’Allan Cameron (Willow, Highlander, Starship Troopers, Demain ne meurt jamais) et la photographie spéciale aux couleurs désaturées (un tournage en N&B avait été envisagé, mais l’idée tuée dans l’oeuf par la production) sont les gros points forts de cette adaptation, partis-pris réalisés par l’immense Roger Deakins (The Big Lebowski, No Country for Old Men, La Dernière marche, Les Évadés), dont les images associées à la mise en scène chirurgicale de Michael Radford s’impriment de manière indélébile dans les mémoires.


Certes, l’ambiance n’est pas à la gaudriole et se mettre devant 1984 demande une grande implication de la part du spectateur. Le cinéphile ne se retrouve pas par hasard devant ce film, car il s’agit d’une véritable étape dans son parcours dédié au septième art, qui aide à mieux comprendre l’existence, le « futur » imaginé dans le passé, qui peut mettre les sens en alerte, dans un besoin de protection.


LE 4K UHD
La première édition DVD française de 1984 remonte à deux décennies et c’était chez MGM. Puis en 2007, l’éditeur proposait une édition qui réunissait à la fois le film de Michael Radford et le livre de George Orwell. 2007, MGM remettait en avant 1984, toujours en DVD. Puis, surprise, 1984 était enfin présenté en Blu-ray, toujours chez le lion qui rugit, avec juste la bande-annonce en guise de bonus. Un comble. 2024, Rimini Éditions déroule le tapis rouge à Nineteen Eighty-Four à travers un coffret Ultra HD + Blu-ray + Livret. Cet objet prend la forme d’un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet. Le livret inclus à cette édition contient 40 pages, largement illustrées et qui contiennent surtout six articles, deux rédigés par Laurence Moreau (journaliste), Michel Porret (historien, professeur honoraire à l’Université de Genève, spécialisé dans l’imaginaire utopique et l’univers pénal), Romain Brethes (enseignant en langues anciennes et les humanités politiques à Sciences-Po Paris), Marie Frisson (journaliste) et Florence Colombani (journaliste, pour un entretien avec David Ryan, historien du cinéma, auteur d’un livre sur George Orwell), tirés du hors-série « Le Point – Grandes biographies – George Orwell » (oublié en novembre-décembre 2022). Ce livret permet ainsi de replacer l’oeuvre de George Orwell dans son contexte, ainsi que dans la carrière de l’écrivain. Celui-ci offre plusieurs approches afin de mieux cerner le roman, tout comme ses adaptations au cinéma et à la télévision. L’ensemble est souvent pointu, mais passionnant, surtout quand 1984 est mis en parallèle du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, autre livre visionnaire publié en 1932. Le menu principal est animé et musical. Notons que le film est aussi disponible en DVD.

Les suppléments, en dehors de la bande-annonce (présente sur les deux disques et où l’on peut constater l’image non traitée et donc colorée par rapport au rendu final), les suppléments se trouvent sur le Blu-ray.
Nous vous conseillons de démarrer la découverte de ces bonus par l’entretien avec Michael Radford (35’), réalisé par nos amis de Bubbelcom. En français dans le texte, le réalisateur revient sur l’origine du projet (« étonnamment, tout le monde évitait le roman de George Orwell […] même s’il y avait beaucoup de projets en vue, mais rien ne se faisait vraiment»), l’enthousiasme de son ami Roger Deakins, qui a largement contribué à la mise en route de cette adaptation, qui a pu se concrétiser grâce à un avocat américain, qui détenait les droits et essayait de son côté de monter une transposition pour le cinéma. Le cinéaste évoque tour à tour le casting, les partis pris esthétiques, les lieux et les conditions de tournage, l’accueil critique, ses intentions (« proposer un prolongement à l’oeuvre de George Orwell […] ne pas copier l’écrivain, mais plutôt s’inscrire dans le monde qu’il avait imaginé »), la musique et bien d’autres éléments encore. Un formidable moment.



Enchaînez avec l’interview de François Brune, auteur de Sous le soleil de Big Brother (Précis sur 1984 à l’usage des années 2000). C’est ici que vous en apprendrez le plus sur l’engagement politique de George Orwell, ainsi que sur les sujets qui lui ont inspiré le roman 1984, ainsi que La Ferme des animaux par la même occasion. Les thèmes du livre sont donc largement disséqués, la figure de Big Brother analysée, la réception du livre commentée. Un entretien dense, fascinant et édifiant (37’).


Le dernier module croise les propos de l’excellent Laurent Aknin (auteur de « Ésotérisme et cinéma », historien du cinéma) et de Caroline Vié (journaliste chez 20 Minutes, la spécialiste du selfie avec les stars et du brossage dans le sens du poil), qui reviennent à leur tour sur 1984, le livre de George Orwell, ainsi que sur les différentes adaptations, aussi bien pour la télévision, que pour la radio et le cinéma. Évidemment, le gros plan est fait sur le film de Michael Radford, d’autant plus que Caroline Vié, officiant alors à L’Écran Fantastique, avait été envoyée à Londres, afin d’y réaliser un reportage sur le tournage. Celle-ci se souvient des décors « en dur » et des effets spéciaux réalisés sur le plateau (les apparitions de Big Brother entre autres). Les thèmes du livre sont encore une fois repris, le procédé du Bleach Bypass (utilisé pour désaturer les couleurs) décortiqué. On en apprend plus sur le cafouillage survenu au niveau de la musique : le groupe Eurythmics avait composé des morceaux pour la bande originale du film, rassemblés dans l’album 1984 (For the Love of Big Brother),qui comprenait entre autres la chanson Sexcrime, entendue dans la bande-annonce et qui ne figure pas dans le film. À l’insu du groupe imposé par la production (le célèbre Richard Branson, qui voulait vendre des disques), Michael Radford avait demandé au compositeur Dominic Muldowney de livrer sa propre partition. Au moment de la sortie du film le réalisateur allait déclarer qu’il regrettait l’utilisation d’Eurythmics.











L’Image et le son
Un panneau en introduction annonce que le master présenté ici a bénéficié de nouveaux travaux numériques, réalisés par Laurent Derynck au sein du laboratoire TCS. Une restauration 4K qui semble partir du lifting déjà proposé par Criterion avant les années 2020 et qui avait bénéficié du concours de Roger Deakins lui-même. On ne comprend donc pas pourquoi une retouche a été effectuée, mais voici le master UHD made in Rimini. Ce qu’il y a de plus étonnant dans cette copie est la gestion aléatoire de la texture argentique, qui paraît étrangement gommée sur moult séquences. Cela est d’autant plus regrettable, que ce grain participait évidemment à l’expérience visuelle désirée par Michael Radford et son chef opérateur. Celui-ci se fait parfois ressentir (sur les scènes sombres surtout), mais la plupart du temps l’aspect demeure laqué et artificiel. Si l’on accepte ces nouvelles intentions, la propreté est irréprochable, tout comme la stabilité, le piqué est acéré, les contrastes denses le HDR fait le taf), les détails ne cessent d’impressionner (les taches de rousseur sur la peau de John Hurt) et permettent une vision globale des décors, ainsi que de la matière des vêtements que l’on croirait toucher du doigt.

En anglais Stéréo (avec la possibilité de visionner le film accompagné de la musique de Dominic Muldowney ou celle d’Eurythmics) comme en français Mono (avec Eurythmics « imposé »), au doublage forcément culte avec à la barre le grand Bernard Tiphaine, les mixages DTS-HD Master Audio contenteront les puristes. Ces options acoustiques s’avèrent dynamiques et limpides, avec une belle restitution des dialogues, peut-être trop en français d’ailleurs. Les effets sont solides et le confort assuré. Pas de souffle constaté. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.




Crédits images : © Rimini Éditions / Orion Pictures Corporation / MGM / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr