LA BELLE ET LA MEUTE réalisé par Kaouther Ben Hania, disponible en DVD le 4 avril 2018 chez Jour2Fête
Acteurs : Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli; Noomane Hamda; Mohamed Akkari; Chedly Arfaoui, Anissa Daoud, Mourad Gharsalli…
Scénario : Kaouther Ben Hania
Photographie : Johan Holmquist
Musique : Amine Bouhafa
Durée : 1h36
Année de sortie : 2017
LE FILM
Mariam, 21 ans, se rend à une soirée étudiante à Tunis. A peine arrivée, elle sympathise avec un certain Youssef (Ghanem Zrelli, fantastique), avec lequel elle décide de finir la soirée sur la plage. Mais celle-ci tourne court quand trois policiers s’en prennent au couple. Menottant Youssef, ils violent la jeune Mariam, puis la relâchent. Traumatisée, elle est emmenée par Youssef à l’hôpital afin de pouvoir déposer plainte par la suite. Mais les deux jeunes gens vont se retrouver empêtrés dans un véritable cauchemar bureaucratique dont ils ne sortiront pas indemnes.
Inspiré d’un fait divers réel qui a ébranlé le gouvernement Tunisien en 2012, produit par six pays différents pour seulement 850 000 euros, La Belle et la meute est ce que l’on peut appeler un tour de force. Réalisé par Kaouther Ben Hania, originaire de Tunis, la cinéaste se fait avant tout remarquer via une poignée de courts-métrages dont Le Challat De Tunis , satire sociale sur son pays. Des courts-métrages féministes et réfléchis, non dépourvus d’humour grinçant. Le Challat De Tunis résonne d’ailleurs comme les prémisses du véritable brûlot étouffant que signera Ben Hania avec La Belle et la meute.
Présenté en 2017 au Festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, le film se compose, à la manière du Kidnapped de Miguel Ángel Vivas, sans l’ultra-violence, d’une dizaine de très longs plans séquences, qui comme dans l’électrochoc hispanique, nous plonge sous une chape de plomb picturale, plus proche d’un réalisme âpre et d’une ambiance souvent glauque et brutale. Le chemin de croix d’une femme voulant faire entendre sa voix dans un pays qui nous est décrit (allégoriquement parlant évidemment) comme proche de la rupture. Cette femme blessée sera entraînée, sans possibilité de recul, dans une multitude d’endroits qui feront office de paliers, entamant sa descente aux enfers. On peut y voir un voyage kafkaïen, le découpage sec du film nous faisant ressentir chaque nouvelle scène comme une tourmente supplémentaire que devra surmonter Mariam.
Au cours de cette nuit, elle devra se battre, mais elle sera aussi soutenue. Divers personnages (dont Youssef) la forceront à enfoncer les portes qui se dresseront devant elle, afin qu’elle puisse s’affirmer et se battre pour ses droits. Victime d’avoir été victime. Le film parvient à faire vivre chaque situation avec beaucoup de réalisme, le choix d’ajouter au casting des acteurs venant du théâtre d’improvisation amène le spectateur à rester scotcher quant au déroulement de certaines situations et échanges. Mariam Al Ferjani est sidérante. Dans un rôle que l’on imagine aussi épuisant psychologiquement que physiquement, elle donne toute sa force à son personnage pour remporter cet affrontement, sans jamais vouloir abandonner. Elle passe d’une épreuve à une autre, se relevant constamment malgré les humiliations dont elle est victime. Le film brille par la virtuosité de sa mise en scène. Ben Hania utilise à bon escient le plan séquence, via de très jolis ballets chorégraphiques d’une fluidité assez incroyable, et parvient à nous faire vivre chaque minute de ce fait divers sordide en maintenant une tension constante.
Véritable thriller et drame social, La Belle et La Meute touche également par sa sincérité cinématographique et par son message politique fort que la réalisatrice assume jusque dans sa dernière séquence. Le personnage de Youssef en viendra même à comparer son pays à un film de zombies, en décrivant le système comme carnassier, avide de scandales et d’images chocs. Jusque dans une scène où la caméra s’envole au-dessus d’un corps inconscient, noyant dans l’image ce que le spectateur se résigne à voir depuis le début. Ajoutons également une mention spéciale au plan séquence « Numéro 6 » qui fait monter la tension de manière très brutale, se terminant sur une scène de course poursuite à la lisière du film d’horreur dont la conclusion assourdissante en remuera plus d’un.
Toutefois, le film n’est peut-être pas exempt de défauts. Il peut se montrer parfois maladroit dans sa manière de souligner certains passages de manière un peu trop démonstrative (l’introduction ou encore la scène du voile) ou un peu trop verbeux dans sa conclusion qui aurait gagné à être aussi directe que le reste du métrage.
Mais, La Belle et La Meute est une très bonne surprise. Direct, froid, le premier film de Kaouther Ben Hania devrait marquer les mémoires. Une œuvre difficile, mais intelligente et consciente de sa portée sociale et politique. On en ressort lessivés, mais l’expérience est nécessaire puisqu’elle permet d’aborder un sujet qui resterait dans l’ombre si le cinéma n’osait pas s’en emparer.
LE DVD
Le test du DVD de La Belle et la meute, disponible chez Jour2Fête, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical. Présenté dans une copie très convenable on ne pourra donc regretter qu’un duo de suppléments assez légers et un chapitrage DVD absent. Nous n’aurons malheureusement pas la chance de mettre la main sur un quelconque Blu-ray, le film n’ayant pas la possibilité d’accéder au format.
Côté supplément, on retrouve une scène coupée (8’) qui semblait se trouver entre la séquence «Numéro 7» et la séquence «Numéros 8». Une scène plutôt intéressante qui nous fait rapidement nous demander pourquoi celle-ci fut non retenue au montage final.
Une interview de Kaouther Ben Hania (22’) chapeautée par le philosophe Michel Onfray vient boucler ce rapide tour des bonus. Un entretien plutôt intéressant si on oublie la qualité assez médiocre du cadrage, ainsi que la présentation un peu confuse de l’interview.
L’Image et le son
Pas d’édition HD donc pour La Belle et la meute, mais un DVD de fort bonne facture, qui restitue habilement l’omniprésence des gammes bleues avec les costumes et les éléments du décor, qui s’opposent avec les ambiances plus chaudes des bureaux. Les contrastes sont légers mais très beaux. Si quelques baisses de la définition demeurent constatables, le piqué reste appréciable, les détails sont agréables sur le cadre large, la clarté est de mise. Un transfert très élégant.
Seule la version originale est disponible. La piste Dolby Digital 5.1 délivre habilement les dialogues et les ambiances frontales, mais peine à instaurer une spatialisation autre que musicale. Les latérales ont peu à faire, mais il est vrai que le film ne s’y prête pas. N’hésitez pas à sélectionner la Stéréo, dynamique et percutante. Les sous-titres français et anglais sont disponibles.
Crédits images : © Jour2fête / Critique du film, parties généralités et suppléments : Alexis Godin / Captures DVD et partie technique : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr