11 MINUTES (11 minut) réalisé par Jerzy Skolimowski, disponible en DVD le 3 décembre 2019 chez Epicentre Films.
Acteurs : Richard Dormer, Paulina Chapko, Wojciech Mecwaldowski, Andrzej Chyra, Dawid Ogrodnik, Agata Buzek, Piotr Glowacki, Jan Nowicki…
Scénario : Jerzy Skolimowski
Photographie : Mikolaj Lebkowski
Musique : Pawel Mykietyn
Durée : 1h20
Date de sortie initiale : 2015
LE FILM
Un mari jaloux et sa femme attirante qui est une actrice, un directeur minable de film, une jeune femme désorientée, un toxicomane, un vendeur de saucisses qui a été en prison, un étudiant en difficulté, un ancien laveur de vitres qui prend une année sabbatique, un artiste âgé, une équipe d’ambulanciers et un groupe de religieuses : des citadins contemporains dont la vie va s’entrelacer et prendre une tournure inattendue en l’espace de seulement 11 minutes.
S’il avait fallu attendre 17 ans entre Ferdydurke – 30 Door Key (1991) et Quatre nuits avec Anna – Cztery noce z Anna (2008), Jerzy Skolimowski (né en 1938) avait tout de suite enchaîné avec le très remarqué Essential Killing (2010), récompensé par le Grand Prix du Jury et la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation masculine attribuée à Vincent Gallo à la Mostra de Venise 2010. Cet improbable mélange de cinéma d’auteur polonais et de survival nous avait vraiment laissés sur notre faim. Néanmoins, s’il y a bien quelque chose qu’on ne pouvait pas reprocher au cinéaste sur ce film, c’était sa capacité de plonger le spectateur dans son récit. Tourné en 2015, 11 minutes va encore plus loin et Jerzy Skolimowski livre à 77 ans une virtuose leçon de cinéma, une expérience haletante, sensorielle, tendue, angoissante, tournée comme un premier film, avec une fraîcheur inouïe et une passion contagieuse pour le septième art.
Il y a quelque chose d’apocalyptique dans 11 minutes – 11 Minut. Une urgence de tourner, de vivre, de survivre se ressent du début à la fin, autrement dit au fil de plusieurs actions étalées sur 11 minutes (en temps réel), mais éclatées sur 80 minutes, à travers différents points de vue et donc plusieurs personnages, et autant d’angles divers. Si le concept n’est évidemment pas nouveau (Short Cuts, 71 Fragments d’une chronologie du hasard, Elephant, Collision, Amours chiennes), il est ici largement maîtrisé, fin, délicat, impressionnant. Les protagonistes se résument certes à quelques lignes, mais ce qui compte ici ce sont les rapports humains, leurs liens. Le spectateur en sait suffisamment dès l’exposition, étrange et inattendue, vue à travers le prisme des caméras de surveillance, de webcams, de smartphone. La vidéo est partout, omniprésente. Mais le principal intérêt n’est pas là. 11 minutes est un marathon dans lequel le réalisateur s’engage avec son audience. Quelque chose d’inconfortable s’installe d’entrée de jeu.
Metteur en scène, acteur, mais aussi peintre, Jerzy Skolimoswki capture le quartier d’affaires de Varsovie, fait de tours de verre où rien ne peut être dissimulé. Les passants s’activent, se croisent, se rentrent dedans, foncent vers une destination inconnue des autres, des instants de vie dressés en spirale, à travers un montage épatant d’Agnieszka Glińska. L’empathie peut donc être difficile, car comment s’intéresser à quelques individus esquissés et comme qui dirait prisonniers d’un dispositif, comme des marionnettes animées par une entité omnisciente et omnipotente, qui a déjà décidé de leur sort. 11 minutes est un film sur le libre-arbitre, sur le destin, celui qui est écrit pour nous et celui que l’on essaye de se créer, quitte à interférer sur celui d’autrui. Avec son avion qui frôle les gratte-ciels, l’ombre du 11 septembre 2001 plane sur « 11 » minutes. La peur s’installe pour l’une (la belle Paulina Chapko), comédienne sur laquelle un producteur-réalisateur (Richard Dormer, Béric Dondarrion de la série Game of Thrones) a des vues et compte abuser de son innocence. Une course contre-la-montre s’engage pour le compagnon de cette dernière, interprété par Wojciech Mecwaldowski, peu dupe quant au jeu pervers qui s’installe et qui court vers le bureau où se déroule « l’audition ».
Alors 11 minutes c’est quoi ? Un thriller ? Un drame ? Une chronique de mœurs ? Un film de science-fiction ? En fait, tous ces genres sont pris par Jerzy Skolimowski, placés dans un shaker, secoués et versés dans un verre à cocktail clinquant, merveilleusement photographié par Mikolaj Lebkowski, sans oublier l’énorme travail réalisé sur le son et la composition de Pawel Mykietyn. Quant au final, représentation du chaos, il est tout simplement époustouflant.
Présenté en sélection officielle à la Mostra de Venise en 2015, sélectionné également comme entrée polonaise pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2016, 11 minutes devra attendre avril 2017 pour arriver chez nous. S’il reste souvent moins considéré que Krzysztof Kieślowski, Roman Polanski et Andrzej Wajda, Jerzy Skolimowski demeure pourtant un des plus grands réalisateurs polonais, dont le cinéma n’a eu de cesse et continue d’étonner encore par sa liberté de ton, sa maîtrise et sa modernité.
LE DVD
C’est chez Epicentre Films que le DVD de 11 minutes fait son apparition dans les bacs. Un boîtier slim Digipack au visuel attractif et soigné. Le menu principal est animé et musical.
L’éditeur n’a malheureusement pas pu mettre la main sur une interview du réalisateur et ne livre qu’une bio-filmographie de Jerzy Skolimowski, une très courte galerie de photos et la bande-annonce de 11 minutes.
L’Image et le son
Pas de Blu-ray à l’horizon, mais la galette livrée par Epicentre Films est de haut niveau ! Nous avons entre les mains un superbe master qui restitue habilement les volontés artistiques du chef opérateur Mikolaj Lebkowski. L’image est clinquante, les couleurs froides et cliniques sont étincelantes, les contrastes léchés et le relief constamment palpable. Ces partis pris esthétiques sont savamment pris en charge par une compression sans failles, la définition demeure exemplaire sur tous les plans et tout du long, sur les scènes sombres comme sur les très lumineuses séquences diurnes. Les détails sont légion sur le cadre large, le piqué aiguisé et la copie éclatante.
Privilégiez évidemment la version originale (entre anglais et polonais) Dolby Digital 5.1 plutôt que la Stéréo, d’une part pour un meilleur confort acoustique, d’autre part afin de mieux bénéficier du travail colossal effectué sur le son par Jerzy Skolimowski et son équipe. Les effets sont denses, riches, inattendus, et participent à l’immersion voulue par le réalisateur. Jusqu’à l’explosion musicale du fracassant épilogue. Les sous-titres français ne sont pas imposés. Pas de version française ici.