SMOOTH TALK réalisé par Joyce Chopra, disponible en Blu-ray le 5 mars 2024 chez Carlotta Films.
Acteurs : Treat Williams, Laura Dern, Mary Kay Place, Margaret Welsh, Sara Inglis, Levon Helm, Elizabeth Berridge, Geoff Hoyle, William Ragsdale…
Scénario : Tom Cole, d’après une nouvelle de Joyce Carol Oates
Photographie : James Glennon
Musique : Russ Kunkel, George Massenburg & Bill Payne
Durée : 1h31
Année de sortie : 1985
LE FILM
Pour ses vacances d’été, Connie, lycéenne de 15 ans en pleine crise d’adolescence, est coincée à la campagne avec ses parents et sa sœur aînée. Horrifiée à l’idée de passer du temps en famille, la jeune fille préfère traîner avec ses deux meilleures amies au centre commercial et flirter avec les garçons. Elle finit par éveiller la curiosité d’un certain Arnold Friend, jeune homme charismatique et enjôleur aux desseins ambigus…
Smooth Talk est l’adaptation sortie en 1985 de la nouvelle Where Are You Going, Where Have You Been? (1966) de Joyce Carol Oates, sortie en France dans le recueil Corps – The Wheel of Love and Other Stories, paru chez Stock dans les années 1970, puis réédité sous le titre Démons chez Aubier-Flammarion quelques temps plus tard, mais indisponible depuis dans nos contrées. L’amour et les relations entre les hommes et les femmes sont au coeur de la nouvelle originale et donc de ce film complètement méconnu chez nous. Réalisé par Joyce Chopra (née en 1936), Smooth Talk est le premier des deux longs-métrages de la cinéaste, qui fera surtout sa carrière à la télévision et qui reviendra d’ailleurs à Joyce Carol Oates avec une adaptation de son livre Blonde, qu’elle transposera en 2001 avec Poppy Montgomery dans le rôle de Marilyn Monroe. C’est la première fois au cinéma que l’univers et le langage de l’écrivaine sont retranscrits, bien avant les deux versions de Foxfire: Confessions of a Girl Gang, dont celle (excellente) signée Laurent Cantet et l’on y retrouve évidemment quelques-uns de ses thèmes de prédilection, l’adolescence, la jeunesse rebelle, en dressant le portrait d’une adolescente voulant s’émanciper et se révolter contre ses parents, en particulier sa mère, tout en étant très attirée par la gent masculine. Smooth Talk est une chronique remarquablement interprétée entre autres par la jeune et déjà imposante Laura Dern, alors âgée de 18 ans, dont la prestation convaincra David Lynch pour l’engager sur Blue Velvet l’année suivante. C’est dire si Smooth Talk vaut le détour !
Connie Wyatt, une jeune fille de 15 ans, passe l’été en Californie du nord dans la maison de campagne familiale avec ses parents, Katherine et Harry, et June, sa sœur. Elle passe son temps libre à traîner dans le centre commercial avec ses amies et à flirter avec les garçons. Elle éveille l’intérêt d’Arnold Friend, un mystérieux étranger qui a adopté le look et les manières de James Dean et se montre tour à tour séducteur et menaçant.
Dans le nord de la Californie, trois adolescentes passent leur été à ne rien faire, si ce n’est à s’étendre sur la plage ou à faire les magasins. Parmi elles, Connie, une grande bringue d’1m80 se démarque, par sa taille certes, mais aussi par sa blondeur incandescente, son teint de porcelaine et ses yeux bleus étincelants. Mais aussi par son visage triste, car Connie ne sourit pas beaucoup et semble en colère contre le monde entier, surtout envers sa mère qui lui reproche constamment ses « préoccupations futiles ». Entre les deux, le dialogue semble être rompu, elles ne se comprennent plus et chaque fait et geste de l’une irrite l’autre. Mais Connie a d’autres préoccupations que d’aller acheter de la peinture à sa mère qui n’a rien d’autre comme projet que de retaper la façade de leur baraque. En effet, Connie, consciente que son corps a changé et attire l’oeil des garçons de son âge, se dit pourquoi pas se laisser aller un peu et vivre comme les autres adolescents, « regarder le temps filer » comme elle dit, avec ses deux meilleures amies Laura et Jill. Quant elle se met à flirter un soir avec un jeune homme, un autre, vraisemblablement plus âgé, lui fait signe et lui dit « Je te surveille… ». Troublée, Connie passe néanmoins une bonne soirée (même si elle finit par s’enfuir, car « pas habituée à être aussi excitée »), quand un après-midi, alors qu’elle est seule chez elle, l’individu étrange, les yeux dissimulés derrière des lunettes de soleil, débarque dans une décapotable des années 1960, accompagné d’un pote, avec la ferme intention de devenir son « amant ».
Smooth Talk est quasiment une pièce de théâtre à ciel ouvert avec des décors principaux réduits, une unité de temps et d’action. Trois actes se distinguent en 90 minutes, le premier installe la vie de Connie et ses relations avec sa famille (un père un peu largué, une mère avec laquelle elle est en froid, une sœur aînée qui s’éloigne d’elle), le second se focalise sur le quotidien de Connie avec ses amies et son attirance croissante pour les garçons, le troisième voit l’irruption d’un certain Arnold Friend (le génial et regretté Treat Williams, particulièrement glaçant et flippant ici), 35 ans au bas mot, bien décidé à « offrir » à Connie ce que visiblement elle recherche, après l’avoir remarqué et observé. La réalisatrice Joyce Chopra et son scénariste (et époux) Tom Cole retranscrivent admirablement l’atmosphère des écrits de Joyce Carol Oates, marqués par des personnages ambigus, des secrets, des pulsions sexuelles, une violence verbale qui trahissent des zones d’ombre.
L’arrivée d’Arnold Friend (ou « A. Friend ») fait penser à celle d’un diable dans la vie jusqu’alors « sage » de Connie et représente le péché, l’envie, le désir, surtout que ce dernier prend la pose comme James Dean, devant lequel Connie est en adoration, les murs de sa chambre étant recouverts de photos à son effigie et d’affiches de ses films. « Rebel without a cause », Connie a juste 15 ans et submergée par des sentiments nouveaux, contradictoires, forcément attirants, bien que cela lui fasse peur. Quand Arnold devient insistant, sans avoir recours à la violence physique, Connie se réfugie sous un escalier, en position fœtus, en appelant sa « maman ». C’est le moment où Connie, après avoir fait quelques premiers pas dans le monde adulte, va s’y engouffrer définitivement, sans retour en arrière possible.
Smooth Talk est un bijou du cinéma indépendant américain, qui vaut à la fois pour le traitement insolite de son thème puissant (l’éveil sexuel), universel et intemporel, ainsi que du consentement et même du viol, que pour admirer l’éclosion d’une immense comédienne qui crève ici littéralement l’écran. Grand prix du jury du Festival de Sundance en 1986.
LE BLU-RAY
Smooth Talk débarque chez Carlotta Films, uniquement en Blu-ray. Un bien beau visuel qui ne manquera pas de titiller les yeux des cinéphiles nostalgiques du cinéma des années 1980. Le menu principal est fixe et musical.
On aurait aimé une interview de Laura Dern ou de la réalisatrice…Mais il faudra se contenter de la bande-annonce seulement…
L’Image et le son
Carlotta Films récupère logiquement la restauration 4K effectuée par Criterion en septembre 2020. Un très beau master HD qui permet de découvrir le film de Joyce Chopra sous toutes ses coutures. Les très beaux partis pris esthétiques du directeur de la photographie James Glennon (Monsieur Schmidt, L’Arriviste) trouvent en Blu-ray (1080p) un nouvel écrin et se voient entièrement respectés. Le grain est présent, parfois un peu plus appuyé sur certaines séquences, mais bien géré. La propreté est de mise (exit les poussières, scories, griffures et tâches en tous genres qui auraient pu y avoir), la colorimétrie est éclatante et le piqué probant. Quelques plans flous et des visages légèrement rosés subsistent, mais rien d’important.
L’unique piste anglais DTS-HD Master Audio Mono présente une bonne dynamique de la bande originale, des voix claires, des ambiances annexes probantes, pour un confort acoustique largement assuré. Ce mixage est propre et aucun souffle n’est constaté. Les sous-titres français ne sont pas imposés.