« Ce doit être un terrible métier que celui qui consiste à faire rire les honnêtes gens » (Extrait de Pays de cocagne)
Pierre Etaix (23 novembre 1928 – 14 octobre 2016)
En 2010, il y a eu une révélation importante dans ma cinéphilie. L’oeuvre de Pierre Etaix, dont je pleure aujourd’hui la disparition. En dépit d’une renommée internationale et la diffusion d’une pétition signée par quelques grands du cinéma (Bertrand Tavernier, Jerry Lewis, Woody Allen), les droits des films de Pierre Etaix demeuraient bloqués depuis près d’une vingtaine d’années. Après un jugement en faveur du réalisateur, clown et comédien, les films sont alors restaurés sous sa supervision et diffusés au cinéma l’été 2010. En novembre de la même année, Arte Vidéo sort l’intégrale en DVD de cet immense artiste.
Pierre Etaix était tour à tour clown, dessinateur, gagman, musicien, metteur en scène, décorateur, mime, cinéaste, poète, magicien, affichiste et caricaturiste. Graphiste de formation, il commence quelques numéros dans les cabarets de Paris et fait plus tard une rencontre, qui sera alors décisive dans sa carrière, celle de Jacques Tati. Il devient son assistant sur Mon Oncle (1958) et crée pour lui des gags, des décors et des dessins. Peu le savent, mais c’est à lui que l’on doit la célèbre silhouette de Monsieur Hulot. Les deux hommes seront néanmoins brouillés pendant une vingtaine d’années, après que Jacques Tati ait tenté de lui « voler » un de ses numéros.
Au début des années 1960, Pierre Etaix souhaite réaliser ses propres films. Il rencontre Jean-Claude Carrière. La passion du slapstick et celle du cinéma de Chaplin, Laurel & Hardy, Buster Keaton et Harold Lloyd les réunissent. En 1961, ils commencent à écrire des bribes d’histoires et aboutissent à un premier scénario qui deviendra Rupture, leur premier court métrage réalisé en duo. Ce court-métrage est alors projeté en première partie de La Guerre des boutons d’Yves Robert.
Pierre Etaix, c’est cinq longs métrages indispensables, Le Soupirant en 1962, Yoyo en 1964, Tant qu’on a la santé en 1965, Le Grand amour en 1969 (son premier film en couleur), Pays de cocagne en 1969 (un documentaire sur la France et les français après les événements de mai 68) et trois courts-métrages, Rupture en 1961, Heureux anniversaire en 1965 (Oscar du meilleur court-métrage) et En pleine forme en 1965, ce dernier faisait alors partie du premier montage de Tant qu’on a la santé.
A l’instar des films de Chaplin et de Buster Keaton, j’ai eu immédiatement la sensation que ceux de Pierre Etaix avaient été faits « pour moi », tant je m’y retrouvais dans ce personnage timide, mélancolique, lunaire et maladroit. Ce sens inouï du gag, des quiproquos, des rebondissements et de la rêverie poétique m’a littéralement bouleversé et bien évidemment fait mourir de rire. A la sortie de l’intégrale en DVD chez Arte, connaissant l’adresse de Pierre Etaix, j’avais été tenté d’aller le voir, juste pour le remercier et pour qu’il me signe le coffret. Je n’ai pas osé. Mais après tout, voir et revoir ses films, même après sa disparition, me donnera toujours l’impression de converser avec lui.
Franck Brissard / JamesDomb