Test Blu-ray / La Ballade des Dalton, réalisé par René Goscinny et Morris

LA BALLADE DES DALTON réalisé par Morris et René Goscinny, disponible en Blu-ray le 21 novembre 2017 chez Citel Vidéo

Acteurs :  Roger Carel, Georges Atlas, Daniel Ceccaldi, Jacques Balutin, Xavier Depraz, Pierre Tornade, Jacques Deschamps, Gisèle Grimm, Michel Elias, Bernard Haller, Jacques Fabbri, Gérard Hernandez, Henri Labussière, Roger Lumont, Jacques Legras, Jacques Morel, Ada Lonati, Henri Poirier, Lawrence Riesner, Pierre Trabaud, Jean-Marc Thibault, Rosy Varte, Henri Virlojeux, René Goscinny…

ScénarioRené Goscinny, Morris, Pierre Tchernia

Musique : Claude Bolling

Durée : 1h23

Date de sortie initiale : 1978

LE FILM

Les Dalton prennent la poudre d’escampette pour toucher l’héritage de feu Tonton Dalton. Une seule condition: assassiner le jury qui a condamne le respectable vieil homme.

Lucky Luke – Daisy Town ayant été un très grand succès en Europe, il était certain que L’Homme qui tire plus vite que son ombre ferait son retour sur le grand écran. En 1978, débarque sur les écrans La Ballade des Dalton, LE chef d’oeuvre du cowboy solitaire au cinéma. Si finalement Lucky Luke laisse la vedette aux quatre frangins à moustaches, Joe, William, Jack et Averell, l’humour y est dévastateur, le film enchaîne les gags pendant 1h20 et demeure aujourd’hui une immense référence.

Les frères Dalton purgent leurs 4200 ans de travaux forcés lorsqu’ils apprennent la mort « naturelle » (« c’est une consolation ») par pendaison de leur cher Tonton Henri. Dans son testament, le vieil homme leur lègue toute sa fortune à deux conditions : qu’ils suppriment les huit membres du jury et le juge responsable de sa condamnation et que Lucky Luke – seul homme honnête et digne de confiance qu’ait connu Tonton Henri ! – confirme au notaire la bonne exécution de cette clause obligatoire. Sans plus attendre, les quatre coyotes s’évadent pour entamer leur drôle de ballade. Si les Dalton échouent, tout le magot d’Henry Dalton ira aux bonnes œuvres. Joe promet à Lucky Luke une part de l’héritage s’il accepte de le faire (tout en voulant le tuer à la fin), Lucky Luke accepte mais ce n’est qu’apparence. Il s’assure en fait que chacun survive tout en faisant croire aux Dalton qu’ils réussissent.

Les cibles répondent au nom de Ming Li Foo, un blanchisseur chinois, Thaddeus Collins, un directeur de prison (d’où les détenus se sont tous évadés), Plume de serpent, un sorcier indien qui vit au milieu du Désert de la soif, Dr Aldous Smith, un charlatan alcoolique (qui ressemble comme deux gouttes d’alcool au comédien américain W.C. Fields), Tom O’Connor, un chercheur d’or, Sam Game, un joueur de poker reconverti en prêcheur, Bud Bugman, un conducteur de train, Mathias Bones, un croque-mort (accompagné de son vautour), ainsi que le juge Groovy qui a condamné Henri Dalton.

Conscients que la meilleure transposition d’une bande dessinée au cinéma se rapproche plus du film à sketches reliés entre eux par un fil rouge, Morris et René Goscinny, aidés par leur complice Pierre Tchernia au scénario et par Henri Gruel et Pierre Watrin à la mise en scène, reprennent pour ainsi dire la même structure que Les Douze travaux d’Astérix sorti en 1976. Lâcher les Dalton dans la nature sous la surveillance de Lucky Luke, pour qu’ils puissent décimer tous les membres d’un jury avec le juge en sus, donne l’opportunité aux réalisateurs d’imaginer neuf petites histoires. Et c’est absolument formidable encore quarante ans après. Si Lucky Luke – Daisy Town était déjà une grande réussite, La Ballade des Dalton est un véritable coup de maître écrit et réalisé par des génies absolus.

Sur un rythme trépidant, les spectateurs, petits et grands, suivent ces aventures originales (l’album adapté du film sera édité plus tard) aux répliques hilarantes, aux situations et gags anthologiques et aux magnifiques couleurs. Une scène parmi tant d’autres, celle du rêve onirique de Joe Dalton après que ce dernier et ses frères se soient fait droguer par un sorcier indien, montre la fratrie plongée dans un monde de comédies musicales. C’était ici l’occasion pour René Goscinny de rendre hommage au cinéma hollywoodien qu’il affectionnait, Chantons sous la pluie, White Christmas, Le Bal des sirènes, Ziegfield Follies. Malheureusement, René Goscinny, décédé le 5 novembre à l’âge de 51 ans, n’a pas pu voir le résultat final.

La Ballade des Dalton bénéficie d’un plus grand budget (ici 12 millions de francs) que Daisy Town et cela se voit à l’écran. Quelques chiffres éloquents : 800 plans, 500 décors, 560.000 dessins. Ajoutons à cela une merveilleuse bande originale signée Claude Bolling qui reste à jamais gravée dans les mémoires, ainsi qu’un casting vocal exceptionnel. Daniel Ceccaldi remplace Marcel Bozzuffi pour Lucky Luke, René Goscinny lui-même prête sa voix à Jolly Jumper, Bernard Haller interprète Rantanplan (« on a volé la prison ! »), les Dalton sont incarnés par Pierre Trabaud (Joe), Jacques Balutin (William), Gérard Hernandez (Jack) et Pierre Tornade (Averell). Les amis et complices de Goscinny et de Tchernia participent également à l’immense réussite de ce « road-movie » comme Jacques Legras (le notaire Augustus Betting), Roger Carel (Ming Li Foo, Mathias Bones, le crieur de journaux, Juan le Méxicain), Jacques Morel (Sam Game), Jean-Marc Thibault (Aldous Smith) ou bien encore Jacques Fabbri (Thadeus Collins).

L’animation est plus fluide, le trait plus fin, bref, c’est un régal de chaque instant. La Ballade des Dalton sort le 24 octobre 1978, presque un an après le décès brutal de René Goscinny. C’est aussi le dernier long métrage d’animation produit par les Studios Idéfix qui allait fermer ses portes.

LE BLU-RAY

Le Blu-ray de La Ballade des Dalton, disponible chez Citel Vidéo, repose dans un boîtier classique de couleur bleue. La jaquette indique cette fois « Nouveau Master Haute Définition », même si le visuel aurait pu être plus attractif. Le menu principal est animé et musical.

Le must sur cette édition HD est bien entendu son image restaurée, mais pas ses suppléments qui se résument uniquement à la bande-annonce originale, ainsi qu’un comparatif avant/après la restauration.

L’Image et le son

Il aura fallu attendre la fin de l’année 2017 pour posséder enfin La Ballade des Dalton en Haute-Définition dans nos contrées ! L’image est présentée dans son format original 1.66 et a surtout été entièrement restaurée à partir du négatif original 35mm, par Mediatoon Distribution aux laboratoires Eclair. Tout cela a été scanné en 4K avant de connaître une restauration très poussée en 2K. Voilà un dépoussiérage de premier ordre ! On attendait impatiemment la sortie en Blu-ray du chef d’oeuvre de Morris et Goscinny. C’est superbe. Les couleurs bleues, jaunes et rouges retrouvent un éclat inespéré, le grain original est heureusement respecté, la clarté est évidente et les contrastes revus à la hausse. L’image est stable, propre comme elle n’a jamais été, sans griffures. Si l’on remarque encore quelques effets de pompages sur certains aplats, qui auraient été difficiles à équilibrer sans dénaturer les volontés artistiques, ou bien encore diverses scènes marquées par des points blancs (le dernier pétage de plomb de Joe Dalton au tribunal), revoir La Ballade des Dalton dans ces conditions contribue à sa postérité et n’a pas fini de faire de nouveaux adeptes parmi le jeune public.

Il n’y a pas que l’image qui a bénéficié d’un lifting, par le désormais incontournable Studio L.E. Diapason, qui s’occupe entre autres de la restauration sonore sur les titres du patrimoine chez Pathé. L’unique piste DTS-HD Master Audio Mono 2.0 est beaucoup plus dynamique, propre et vif que celui de Lucky Luke – Daisy Town, qui restait souvent étriqué avec des échanges aigus. Ce nouveau mixage fait ici la part belle à l’extraordinaire bande originale signée Claude Bolling, que nous n’avions jamais entendu avec autant de coffre. Aucun souffle, pas de saturation, tout est net. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © DARGAUD Productions, René Goscinny Productions / Idéfix Studio /  Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test Blu-ray / Michaël Gregorio – J’ai dix ans, réalisé par François Goetghebeur

MICHAËL GREGORIO – J’AI DIX ANS réalisé par François Goetghebeur, disponible en DVD et Blu-ray le 14 novembre 2017 chez Universal Pictures

Spectacle écrit par Michaël Gregorio, Arnaud Lemort, Laurent Ruquier

Durée : 2h02

Enregistré les 15 et 16 décembre 2017 (AccorHotels Arena)

LE SPECTACLE

Pour fêter ses 10 ans de scène avec son équipe, Michaël Gregorio revient avec un spectacle-événement inédit et festif. Pour l’occasion, Michaël a fait les choses en grand : les meilleurs moments de ses 3 premiers spectacles revisités par une scénographie innovante, des sketches inédits, des nouvelles voix, des surprises et des guests…

Voilà déjà dix ans que l’imitateur et chanteur Michaël Gregorio, découvert en 2001 dans l’émission Graine de star (qu’il a remporté deux fois), sillonne les routes de France avec ses excellents musiciens. Né en 1984 à Mulhouse, le jeune artiste a su immédiatement conquérir l’Hexagone avec ses performances vocales souvent hallucinantes, devenant ainsi le chaînon manquant entre le québécois André-Philippe Gagnon et Laurent Gerra. Mais Michaël Gregorio va bien au-delà puisqu’il compte à son actif une multitude d’interprètes anglo-saxons. Et pour ces dix ans de tournée, toute cette équipe a voulu se faire plaisir, au point d’investir Bercy…euh…l’AccorHotels Arena les 15 et 16 décembre 2016, plein à craquer.

Au programme ? Des dizaines de voix : Mick Jagger, Alain Souchon, Johnny Hallyday, Vincent Delerm, Jacques Brel, Stromae, Charles Aznavour, Maître Gims, Prince, Shakira, Francis Cabrel, Christophe Maé, Grands Coprs Malade, les Bee Gees, Michel Berger, Blur, Radiohead, Ricky Martin, Aqua, Reel 2 Real, Nightcrawlers, Los Del Rio, Ray Charles, Billie Holiday, Louis Armstrong, Luciano Pavarotti, Michael Jackson, Michel Sardou, Vianney, Gérald de Palmas, Julien Doré, les Village People, Elvis Presley, Michel Polnareff, Mike Brandt, Christophe Willem, Freddie Mercury, Jean-Jacques Goldman, Mika, Bono, David Bowie, Bruno Mars, Philippe Katerine et bien d’autres encore.

Survolté, un peu trop sans doute parfois au point que cela peut parfois irriter, Michaël Gregorio réalise ici le spectacle de ses rêves. Il se fait plaisir en jouant de la guitare électrique, de la batterie, du piano, en faisant de nombreuses références à ses films préférés (Retour vers le futur notamment), en criant toutes les dix minutes « Bercyyyyyyyyy », comme si lui-même n’en revenait pas d’être là, avant de se jeter littéralement dans la foule en guise de final…et de s’envoler au-dessus des spectateurs. Comme très souvent dans ce genre d’évènement, la vedette a convié d’autres chanteurs (Universal) qu’il imite d’ailleurs à la perfection et avec lesquels il réalise quelques duos. Dommage que ces invités « prestigieux » répondent au nom de Pascal Obispo (vêtu en Reine des Neiges), Dave, Grégoire, Vianney et Christophe Willem, qui pour la plupart passent déjà pour des caricatures au premier degré.

S’il atteint souvent les sommets dans ses numéros, à l’instar du Diego interprété par Michel Berger et Johnny Hallyday (probablement la meilleure imitation chantée de ce dernier), du trio Charles-Holiday-Armstrong (frissons garantis), le Qui a tué Grand-maman de Michel Polnareff ou bien encore Freddie Mercury sur Love of my life, le spectacle pâtit de textes ou de détournements vraiment pauvres (Vanino à la place de Vanina…), redondants et mal écrits, surtout que Gregorio n’imite quasiment pas de voix « parlées ». A tel point que l’on en devient pressé de passer d’une chanson à l’autre, pour s’amuser des « rencontres » singulières comme Charles Aznavour qui chante (avec auto-tune) Bella de Maître Gims, Brel qui entonne Papaoutai, Shakira (hilarant) qui interprète Je l’aime à mourir avec Francis Cabrel, Grand Corps Malade qui déclame Stayin’ Alive.

Heureusement, la qualité est bel et bien présente et ce spectacle de plus de deux heures démontre que Michael Gregorio est un très grand artiste et l’on reste bluffé par le coffre, la pureté et la portée de sa voix. Il a donc encore largement le temps de trouver de vrais auteurs, ce qui lui manque indéniablement aujourd’hui.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray de Michaël Gregorio – J’ai dix ans, disponible chez Universal Pictures, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé sur quelques extraits du spectacle. C’est devenu plutôt récurrent, l’artiste détourne d’entrée de jeu le logo Universal.

L’éditeur joint un documentaire (31’) sur la préparation de l’équipe pour le double-show à Bercy, constitué d’images des répétitions avec les musiciens et les guests, de la séance maquillage (5 heures !) pour le prologue où Michaël Gregorio se fait interviewer pour ses 80 ans par Michel Drucker (qui n’a pas pris une ride en 2064), l’entraînement physique pour l’envol final, sans oublier les propos de tout ce beau monde, aussi impressionnés qu’excités à l’idée de se produire dans une salle immense. Un petit tour sympathique dans les coulisses.

L’Image et le son

La définition s’avère quasi-irréprochable. Les couleurs bigarrées et chatoyantes sont magnifiquement restituées, l’artiste se découpe sans mal du fond, le relief est omniprésent et le piqué incisif. Les noirs sont denses, les jeux de lumières resplendissants et le cadre large fourmille de détails. Le spectacle filmé en HD trouve évidemment en Blu-ray un écrin parfait et offre de fabuleuses conditions de visionnage.

N’hésitez pas à opter directement pour la piste DTS-HD Master Audio 5.1 qui vous donnera l’impression d’assister au spectacle de Michaël Gregorio comme si vous étiez assis au milieu de Bercy. La batterie, les percussions, les basses, les guitares sont idéalement spatialisées, le caisson de basses répond à l’appel, les arrières exsudent les applaudissements et les rires, la balance frontale est saisissante et la voix de l’imitateur solidement plantée sur la centrale. La DTS-HD Master Audio 2.0 est évidemment plus « plate » puisque tout repose sur les voies avant, mais le spectacle acoustique est garanti. L’éditeur joint également les sous-titres destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Universal Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Le Baiser du vampire, réalisé par Don Sharp

LE BAISER DU VAMPIRE (The Kiss of the Vampire) réalisé par Don Sharp, disponible en DVD et combo Blu-ray+DVD le 9 novembre 2017 chez Elephant Films

Acteurs :  Janette Scott, Oliver Reed, Sheila Burrell, Maurice Denham, Alexander Davion, Liliane Brousse…

Scénario :  Anthony Hinds

Photographie : Alan Hume

Musique : James Bernard

Durée : 1h28

Date de sortie initiale : 1963

LE FILM

Lors de leur voyage de noces, un jeune couple perdu dans un petit village d’Europe centrale accepte l’invitation du mystérieux docteur Ravna dans son château. Ils vont découvrir, lors d’un mémorable bal masqué, que la lugubre demeure abrite une secte vampirique.

La Hammer a toujours eu de la suite dans les idées, surtout après des triomphes comme ceux du Cauchemar de Dracula (1958) et Les Maîtresses de Dracula (1960) réalisés par Terence Fisher. Seulement voilà, Christopher Lee refuse de rempiler, il avait d’ailleurs déjà décliné le deuxième volet et même Peter Cushing décide d’aller voir ailleurs. Ne voulant pas laisser mourir sa franchise consacrée aux vampires, la Hammer doit changer son fusil d’épaule. Pas de Dracula ici encore une fois, point de Docteur Van Helsing non plus, le scénariste John Elder (La Nuit du Loup-Garou, Le Fascinant Capitaine Clegg, Le Fantôme de l’opéra), pseudo d’Anthony Hinds, fils de William Hinds, le fondateur de la Hammer films, revoit sa copie et emmène le spectateur à la rencontre de nouveaux personnages. Ce troisième épisode, c’est Le Baiser du vampire, The Kiss of the Vampire, mis en scène non pas par Terence Fisher, qui n’a pas voulu revenir lui non plus, mais par le méconnu Don Sharp (1921-2011), cinéaste australien qui réalisera plus tard Les Pirates du diable (1964), La Malédiction de la mouche (1965), Le Masque de Fu-Manchu (1965) et Les Treize Fiancées de Fu Manchu (1966).

En voyage de noces en Europe centrale, un couple de jeunes mariés, Gerald (Edward de Souza) et Marianne Harcourt (Jennifer Daniel), tombent en panne de voiture. Ils vont trouver refuge à l’hôtel le plus proche, où ils s’aperçoivent qu’ils en sont les seuls clients. Le soir, venu, ils reçoivent une invitation à dîner du docteur Ravna (Noel Willman), qui habite le château voisin. L’hôtelier (Peter Madden) leur conseille d’accepter et ils s’y rendent donc. Ravna leur présente son fils Carl (Barry Warren) et sa fille Sabena (Jacquie Wallis) mais ne leur parle pas d’une jeune fille en robe rouge, Tania (Isobel Black), qui sort peu après du château et se rend au cimetière où elle incite une fille vampire à sortir de son cercueil. Celle-ci était la fille du professeur Zimmer (Clifford Evans), qui l’a mise hors d’état de nuire en lui plantant un pieu dans le cœur lors de l’enterrement.

Ce n’est pas que Le Baiser du vampire soit une déception, car le film demeure divertissant encore aujourd’hui, c’est juste qu’il n’apporte pas grand-chose au mythe du vampire et qu’il demeure anecdotique. Certes, passer après l’immense travail de Terence Fisher n’était pas chose aisée, mais Don Sharp s’acquitte honorablement de sa tâche derrière la caméra. Le point faible du film reste son casting, peu charismatique, en dehors de la belle Isobel Black que l’on laisserait volontiers mordre tout ce qu’elle désire, ainsi que Clifford Evans (vu dans La Nuit du Loup-Garou) qui campe le professeur Zimmer, ersatz de Van Helsing. Si Le Baiser du vampire a su traverser les décennies, c’est aussi en raison de sa séquence de bal masqué qui inspirera à Roman Polanski son cultissime Bal des vampires en 1967, tout comme Le Cauchemar de Dracula et Les Maîtresses de Dracula l’influenceront également.

La photo d’Alan Hume (Un poisson nommé Wanda, Runaway Train, Dangereusement vôtre) est plutôt quelconque, loin d’égaler le travail d’Arthur Grant et surtout de Jack Asher, qui participaient à la réussite des films sur lesquels ils officiaient. Néanmoins, le soin apporté aux décors et aux costumes est indéniable, tandis que certaines scènes ont su marquer les esprits à l’instar de l’attaque des chauves-souris dans un final pensé à l’origine pour Les Maîtresses de Dracula. Dommage que l’atmosphère ne prenne pas vraiment, la faute à une mise en scène certes efficace, mais finalement conventionnelle.

LE BLU-RAY

Le Baiser du vampire est disponible en DVD et combo Blu-ray/DVD chez Elephant Films. Cette édition contient également un livret collector de 20 pages, ainsi qu’une jaquette réversible avec choix entre facings « moderne » ou « vintage ». Le boîtier Blu-ray est glissé dans un fourreau. Le menu principal est animé et musical.

Bravo à Elephant Films qui nous livre ici l’une de ses meilleures présentations. On doit cette grande réussite à Nicolas Stanzick, auteur du livre Dans les griffes de la Hammer : la France livrée au cinéma d’épouvante. Dans un premier module de 10 minutes, ce dernier nous raconte l’histoire du mythique studio Hammer Film Productions. Comment le studio a-t-il fait sa place dans l’Histoire du cinéma, comment le studio a-t-il réussi l’exploit de susciter un véritable culte sur son seul nom et surtout en produisant de vrais auteurs ? Comment les créateurs du studio ont-ils pu ranimer l’intérêt des spectateurs pour des mythes alors tombés en désuétude ou parfois même devenus objets de comédies ? Nicolas Stanzick, érudit, passionnant, passe en revue les grands noms (Terence Fisher bien évidemment, Christopher Lee, Peter Cushing) qui ont fait le triomphe de la Hammer dans le monde entier, mais aussi les grandes étapes qui ont conduit le studio vers les films d’épouvante qui ont fait sa renommée. Voilà une formidable introduction !

Retrouvons ensuite Nicolas Stanzick pour la présentation du Baiser du vampire (21’). Evidemment, ce module est à visionner après avoir vu ou revu le film puisque les scènes clés sont abordées. Comme lors de sa présentation de la Hammer, Nicolas Stanzick, toujours débordant d’énergie et à la passion contagieuse, indique tout ce que le cinéphile souhaiterait savoir sur la production du Baiser du vampire. Le journaliste replace donc ce film dans l’histoire de la Hammer Films, au moment où le studio souhaitait lancer un troisième volet de la saga Dracula, même si Les Maîtresses de Dracula avait trompé les spectateurs puisque le Comte n’y figurait pas. Après le refus de Christopher Lee, Peter Cushing et même d’Oliver Reed d’apparaître dans un nouveau volet de Dracula, Nicolas Stanzick explique comment la Hammer a finalement renoncé à un Dracula 3, pour se diriger vers une histoire de vampire originale. Le choix du réalisateur Don Sharp, le casting, les effets visuels, la scène finale qui rappelle Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock (même si le film de Don sharp a été tourné avant) sont abordés avec intelligence et spontanéité, tandis que Nicolas Stanzick défend Le Baiser du vampire en indiquant comment le film préfigure ce que le genre allait devenir. Il clôt cet entretien en parlant de l’influence que Le Baiser du vampire aura sur Roman Polanski pour son Bal des vampires.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces et une galerie de photos.

L’Image et le son

La qualité de ce master Haute-Définition n’égale pas celle des précédents titres de la Hammer testés par nos soins. Quelques effets de pompages se font ressentir, les fonds enchaînés entraînent divers décrochages, des fourmillements sont parfois visibles, certains plans s’avèrent moins nets ou plus abîmés (les plans sur le château). Néanmoins, la copie est très propre, les couleurs automnales sont flatteuses, le grain original est respecté et bien géré, le relief de certains détails est appréciable à l’instar des costumes et des décors.

Le film est disponible en version originale ainsi qu’en version française DTS HD Master Audio mono d’origine. Sans surprise, la piste anglaise l’emporte haut la main sur son homologue, surtout du point de vue homogénéité entre les voix des comédiens, la musique et les effets sonores. La piste française est tantôt sourde, tantôt criarde, au détriment des ambiances annexes. Dans les deux cas, point de souffle à déplorer, ni aucun craquement. Le changement de langue est possible à la volée et les sous-titres français non imposés.

Crédits images : © Elephant Films / Universal Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test DVD / Le Chanteur de Gaza, réalisé par Hany Abu-Assad

LE CHANTEUR DE GAZA (Ya tayr el tayer) réalisé par Hany Abu-Assad, disponible en DVD chez TF1 Studio le 12 septembre 2017

Acteurs :  Tawfeek Barhom, Kais Attalah, Hiba Attalah, Ahmed Al Rokh, Abdel Kareem Barakeh, Nadine Labaki…

Scénario : Hany Abu-Assad, Sameh Zoabi

Photographie : Ehab Assal

Musique : Hani Asfari

Durée : 1h35

Date de sortie initiale : 2015

LE FILM

Un jeune Palestinien prend son destin en main pour réaliser son plus grand rêve : chanter.

Bon alors, même si Le Chanteur de Gaza demeure un film honnête et attachant, on pouvait s’attendre à mieux et surtout à plus ambitieux de la part du réalisateur néerlando-palestinien Hany Abu-Assad né à Nazareth en 1961. S’il fait aujourd’hui partie des réalisateurs contemporains importants de la Palestine, on se souvient notamment de son film le plus célèbre et controversé Paradise Now (2005) qui narrait l’histoire fictive de deux kamikazes palestiniens, depuis leurs recrutements jusqu’à l’attentat suicide à Tel Aviv, Hany Abu-Assad revient avec un film (trop) modeste sur la forme. Centré sur le véritable récit de Mohammad Assaf, chanteur palestinien qui à 23 ans a remporté le premier titre de la deuxième saison du programme de téléréalité Arab Idol en 2013, Le Chanteur de Gaza ne laisse évidemment pas indifférent par son sujet, mais déçoit par sa mise en scène scolaire et son montage franchement rudimentaire, même s’il s’agit du premier film tourné – limité à deux jours de tournage par les autorités israéliennes – dans la bande de Gaza depuis plus de 20 ans.

Elevé dans un camp de réfugiés à Gaza, le jeune Mohammed Assaf est passionné par le charme de la musique depuis son enfance lorsqu’il chantait déjà dans les mariages ou autres réceptions privées. Mais aujourd’hui âgé de vingt-cinq ans, le jeune homme ambitieux souhaite plus que tout réussir à concrétiser son plus grand rêve : devenir un grand chanteur. Aussi décide-t-il de voyager de la bande de Gaza jusqu’en Egypte afin de participer à l’émission télévisée « Arab Idol ». Sans passeport, il parvient à passer la frontière au cours d’un dangereux périple et à atteindre l’hôtel où se déroulent les auditions.

Paradise Now était le premier film palestinien à remporter le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, ainsi que le premier film représentant la Palestine à être nommé à l’Oscar dans la même catégorie. Autant dire que Le Chanteur de Gaza ne joue pas dans la même catégorie et que le metteur en scène Hany Abu-Assad semble ici peu inspiré, probablement confiant dans un sujet qu’il sait fort, engagé et à portée universelle. Largement inspiré par le Slumdog Millionaire de Danny Boyle et Loveleen Tandan, sans la frénésie et la virtuosité, ce film se contente la plupart du temps d’enchaîner les « passages obligés » d’un biopic, autrement dit l’enfance de Mohammad Assaf aux côtés de sa fratrie dans un camp de réfugiés, ses premiers cours de chant et prestations lors de mariages, ses progrès, le trauma qui sera à l’origine de son envie de chanter devant le monde entier (la perte de sa petite sœur), ses doutes, son succès, son triomphe international. Une aura importante qui lui permettra d’être nommé ambassadeur de bonne volonté pour la paix par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, ainsi qu’ambassadeur de la culture et des arts par le gouvernement palestinien.

Le Chanteur de Gaza est un « joli » film, mais il est dommage d’avoir confié le rôle de Mohammad Assaf (dans sa partie jeune adulte) au jeune comédien Tawfeek Barhom, peu convaincant, et que cette success story courageuse et optimiste tire un peu trop sur la corde sensible, ce dont elle pouvait aisément se passer.

LE DVD

Le test du DVD du Chanteur de Gaza, disponible chez TF1 Studio, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.

Aucun supplément sur cette édition et pas d’édition HD pour ce titre.

L’Image et le son

Hany Abu-Assad peut compter sur TF1 Studio pour le service après-vente du Chanteur de Gaza. En effet, l’éditeur livre un très beau master aux contrastes solides et à la luminosité constante. Le piqué est fort agréable, les ambiances diurnes chatoyantes, la colorimétrie est vive et saturée, et le relief probant aux quatre coins du cadre large. Seuls quelques petits fourmillements sur les arrière-plans viennent ternir quelque peu le visionnage, mais rien de bien méchant.

Seule la version originale est disponible en Stéréo et DD 5.1. Cette dernière piste aurait mérité d’être un peu plus dynamique, mais les latérales distillent quelques petites ambiances musicales et naturelles avec suffisamment de punch. Les dialogues sont précis, dynamiques, la balance frontale équilibrée et le caisson de basses accompagne doucement l’ensemble. La version Stéréo remplit aisément son contrat grâce à une réelle homogénéité entre les dialogues, la musique et les effets annexes. Les sous-titres sont incrustés directement sur l’image.

Crédits images : © La Belle CompanyCaptures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test Blu-ray / La Femme du boulanger, réalisé par Marcel Pagnol

LA FEMME DU BOULANGER réalisé par Marcel Pagnol, disponible en Blu-ray chez Compagnie Méditérranéenne de Films – Marcel Pagnol

Acteurs :  Raimu, Ginette Leclerc, Charles Moulin, Fernand Charpin, Robert Vattier, Alida Rouffe, Maximilienne, Robert Bassac, Édouard Delmont, Charles Blavette, Odette Roger, Paul Dullac, Julien Maffre, Marcel Maupi, Jean Castan…

Scénario : Marcel Pagnol, d’après un épisode de Jean le Bleu de Jean Giono

Photographie : Georges Benoît

Musique : Vincent Scotto

Durée : 2h14

Date de sortie initiale : 1938

LE FILM

Dans un village de Haute Provence, un boulanger récemment installé découvre un matin que sa jeune femme est partie avec un berger. Il décide de faire la grève du pain tant que sa femme n’est pas revenue. Le village se mobilise afin de retrouver sa boulangère.

« Ah ! Te voilà, toi ? Regarde, la voilà la pomponnette… Garce, salope, ordure, c’est maintenant, que tu reviens ? Et le pauvre pompon, dis, qui s’est fait un mauvais sang d’encre ! Il tournait, il virait, il cherchait dans tous les coins… Plus malheureux qu’une pierre, il était… Et elle, pendant ce temps-là avec ses chats de gouttières… Des inconnus, des bons à rien… Des passants du clair de lune. Qu’est-ce qu’ils avaient, dis, de plus que lui ? »

Réalisé en 1938 et se plaçant pour ainsi dire au beau milieu de sa filmographie, La Femme du boulanger est sans doute le plus grand et le plus émouvant film de Marcel Pagnol (1895-1974). Ce dixième long métrage, situé entre Le Schpountz (1938) et La Fille du puisatier (1940), condense toute la verve de son auteur et offre à l’immense Raimu le plus grand rôle de sa carrière.

Aimable Castanier, le nouveau boulanger du village de Sainte-Cécile, en Provence, n’a pas son pareil pour faire du bon pain. Sa jeune épouse Aurélie tient la caisse. Belle et toujours silencieuse, elle s’ennuie manifestement entre un trop vieux mari et de trop rares clients. Un jour, elle se laisse séduire par un avenant jeune homme, prénommé Dominique, le berger du marquis Castan de Venelles. N’y tenant plus, elle s’enfuit une nuit avec celui-ci. L’infortune du boulanger amuse tout d’abord le village, qui en fait des gorges chaudes. Mais Aimable, désespéré, s’enivre et veut se pendre. Du coup, les habitants s’inquiètent. Vont-ils être définitivement privés de bon pain ?

Si le scénario et les dialogues sont bel et bien signés Marcel Pagnol, l’histoire s’inspire librement d’un épisode de Jean le Bleu de Jean Giono. Le cinéaste adaptera quatre œuvres de l’écrivain, Jofroi de la Maussan pour Jofroi, Un de Baumugnes pour Angèle, Regain pour le film du même nom et donc cette Femme du boulanger. Certes, la mise en scène n’a rien d’exceptionnel et ne l’a jamais été chez Marcel Pagnol, mais c’est ici la quintessence de sa direction d’acteurs et de sa virtuosité des dialogues.

« Mais elle, si elle savait parler, ou si elle n’avait pas honte – ou pas pitié du vieux Pompon – elle me dirait : « ils étaient plus beaux. » Et qu’est-ce que ça veut dire, beau ? Et la tendresse alors, qu’est-ce que tu en fais ? Dis, tes ministres de gouttières, est-ce qu’ils se réveillaient, la nuit, pour te regarder dormir ? (La chatte, tout à coup, s’en va tout droit vers une assiette de lait qui était sur le rebord du four, et lape tranquillement.) Voilà. Elle a vu l’assiette de lait, l’assiette du pauvre Pompon. Dis, c’est pour ça que tu reviens ? Tu as eu faim et tu as eu froid ?… Va, bois-lui son lait, ça lui fait plaisir… Dis, est-ce que tu repartiras encore ? » 

A travers l’histoire de ce pauvre Aimable, quitté par sa femme beaucoup plus jeune que lui pour un bel étalon, c’est le portrait de toute une communauté que dresse le réalisateur. Le scénario est constitué de scènes qui s’apparentent à ses sketches entrelacés, avec une multitude de personnages qui gravitent autour d’Aimable, dont les conversations n’apportent pas grand-chose à l’intrigue centrale, mais qui lui donnent pourtant toute son âme. Si l’excuse des gens du village pour se mettre à la recherche d’Aurélie – Ginette Leclerc, toujours aussi provocante dans un rôle proposé à Joan Crawford ! – est de ne pas être privés de pain, la pudeur ne leur fera pas admettre qu’il s’agit aussi et surtout de sauver la bonne âme d’Aimable, qui arrive au bout du rouleau, au point de vouloir se suicider.

Avec une immense délicatesse, Raimu passe du rire aux larmes. Louis de Funès louait la capacité du comédien à jouer sur le fil tendu entre la comédie et la tragédie, tandis qu’Orson Welles le considérait comme le plus grand acteur du cinéma. Il est fantastique, capable de briller face caméra, mais aussi de mettre en valeur ses partenaires tels que Fernand Charpin, succulent dans le rôle du marquis Castan de Venelles, Robert Vattier, génial curé du village, Robert Bassac (l’instituteur), Alida Rouffe (Céleste, la bonne du curé), et tout un tas d’acteurs fidèles à Marcel Pagnol que l’on retrouve de film en film avec toujours le même plaisir. La Femme du boulanger est un film aussi simple qu’admirable, réalisé et joué avec un coeur immense.

LE BLU-RAY

Le Blu-ray de La Femme du boulanger, disponible chez Compagnie Méditérranéenne de Films – Marcel Pagnol, repose dans un slim-digipack élégant avec le profil de Raimu en guise de visuel. Le menu principal est animé sur une séquence du film.

Comme suppléments, l’éditeur joint uniquement une galerie de photographies, ainsi qu’un comparatif avant/après la restauration.

L’Image et le son

La Femme du boulanger a été restauré en 4K, image par image, à partir des bobines nitrate, par la compagnie Hiventy en 2016. Que les cinéphiles soient rassurés, la très longue attente de voir débarquer le chef d’oeuvre de Marcel Pagnol en DVD et même en Blu-ray est largement récompensée ! Le master au format d’origine 1.33 est superbe. La propreté est remarquable, le cadre stable, la clarté éloquente, le piqué aiguisé et surtout le grain préservé et excellement géré. Les quelques plans flous semblent d’origine et la restauration a voulu conserver les partis pris originaux. C’est superbe et le titre tire constamment profit de son upgrade en Haute-Définition.

Egalement restaurée, la piste DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un haut confort acoustique avec des dialogues percutants (peu de répliques chuintantes ou sourdes à déplorer) et une très belle restitution des ambiances annexes. Aucun souffle sporadique ni aucune saturation à l’horizon. L’éditeur joint également les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © CMF-MPC / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Le Corbeau, réalisé par Henri-Georges Clouzot

LE CORBEAU réalisé par Henri-Georges Clouzot, disponible Blu-ray le 17 octobre 2017 chez Studiocanal

Acteurs :  Pierre Fresnay, Pierre Larquey, Micheline Francey, Ginette Leclerc, Noël Roquevert, Héléna Manson…

Scénario : Henri-Georges Clouzot, Louis Chavance

Photographie : Nicolas Hayer

Musique : Tony Aubin

Durée : 1h31

Date de sortie initiale : 1943

LE FILM

Médecin d’un petit village du cœur de la France , le docteur Rémy Germain est la victime d’un corbeau, qui l’accuse d’adultère et de pratique illégale de l’avortement. Rapidement, les lettres infamantes se multiplient et personne dans le village n’est épargné par les ragots qui engendreront alors cabales, drames et règlements de comptes. Seul contre tous, le docteur Germain va mener son enquête et découvrir, en même temps que le coupable, les bassesses et la mesquinerie dont peuvent être capables ses concitoyens.

« Vous êtes formidable, vous croyez que les gens sont tout bon ou tout mauvais, vous croyez que le bien c’est la lumière et que l’ombre c’est le mal. Mais où est l’ombre ? Où est la lumière ? Où est la frontière du mal ? Savez-vous si vous êtes du bon ou du mauvais côté ? »

Henri-Georges Clouzot rencontre le succès dès son premier long métrage, L’Assassin habite au 21, d’après le roman de Stanislas-André Steeman. Il enchaîne directement avec Le Corbeau, sur un scénario de Louis Chavance, d’après un fait divers authentique qui s’est déroulé à Tulle de 1917 à 1922, période durant laquelle 110 lettres anonymes avaient été envoyées à l’ensemble de la population. Tourné pour la société de production Continental-Films, active durant l’Occupation, et financée par des capitaux allemands, créée en 1940 par Joseph Goebbels dans un but de propagande et cependant dirigée par le francophile Alfred Greven qui tiendra peu compte des ordres politiques reçus de Berlin, Le Corbeau s’accompagne d’un parfum sulfureux et demeure la plus grande radiographie de la société française de l’époque.

Les notables de Saint-Robin, petite ville de province, commencent à recevoir des lettres anonymes signées « Le Corbeau », dont le contenu est calomnieux. Ces calomnies se portent régulièrement sur le docteur Rémi Germain, ainsi que sur d’autres personnes de la ville. Les choses se gâtent lorsque l’un des patients du docteur Germain se suicide, une lettre lui ayant révélé qu’il ne survivrait pas à sa maladie. Le docteur Germain enquête pour découvrir l’identité du mystérieux « Corbeau ». Tour à tour, plusieurs personnes sont soupçonnées et les lettres infamantes se multiplient.

Comme ce sera le cas dans l’ensemble de ses films, Henri-Georges Clouzot n’épargne personne dans Le Corbeau, et surtout pas les bourgeois. Ici, tout le village est touché. En 1943 (l’Occupation n’est pas mentionnée et d’ailleurs rien n’indique la date à laquelle se déroule le récit), il en faut peu pour que le fragile équilibre se délite. La suspicion règne et l’on passe facilement de victime à coupable suite aux commérages qui prolifèrent.

Le Corbeau rend compte de l’atmosphère irrespirable où tout le monde en venait à s’espionner, se craindre, au rythme des courriers qui se multiplient comme un virus contagieux qui se répand d’une maison à l’autre. Clouzot s’amuse avec un humour noir à regarder ses concitoyens avec l’oeil d’un entomologiste. Plongez des êtres humains dans une situation inexpliquée avec quelques informations diffamatoires, secouez un peu le tout, laissez agir puis analysez le précipité qui en découle. L’hystérie collective n’est pas loin. Ne reste plus qu’à Clouzot qu’à brosser le portrait de personnages, tout autant d’électrons qui s’agitent autour du noyau central interprété par l’immense Pierre Fresnay, tous remarquablement incarnés par une ribambelle de comédiens épatants tels Ginette Leclerc et son regard langoureux, Pierre Larquey, Micheline Francey, Noël Roquevert, Jeanne Fusier-Gir, qui pour la plupart reviendront d’un film à l’autre de Clouzot.

Résolument sombre et violent (même une petite fille tente de se suicider), Le Corbeau est le premier vrai tour de force d’Henri-Georges Clouzot, qui peint un portrait corrosif de la France, l’acide sulfurique remplaçant alors la gouache. À cela s’ajoute une photo très contrastée de Nicolas Hayer, Clouzot ayant été très souvent inspiré par l’expressionnisme allemand. Si le film est un triomphe à sa sortie, Henri-Georges Clouzot connaît la période la plus troublée de sa vie. A la Libération, le film est perçu par la résistance et par la presse communiste de l’époque comme antifrançais, comme si les patriotes pouvaient s’adonner à la délation, ce qui est inconcevable enfin ! Du pain béni pour les détracteurs de Clouzot qui n’hésitaient pas à déclarer que le réalisateur servait ainsi la propagande nazie. Accusé de dénigrer le peuple français, le cinéaste est littéralement banni à vie du métier de metteur en scène en France et le film est interdit. Ces deux interdictions seront heureusement levées dès 1947, après que Clouzot ait été soutenu par quelques grands noms du cinéma (Jacques Becker, Henri Jeanson). Son film peut enfin être redécouvert.

Le Corbeau est le premier chef d’oeuvre incontesté d’Henri-Georges Clouzot, référence du Whodunit et entraînera même un remake aux Etats-Unis, La Treizième LettreThe Thirteenth Letter, réalisé par Otto Preminger en 1951, avec Charles Boyer.

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray du Corbeau, disponible chez Studiocanal, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est sobre, animé sur quelques séquences du film.

L’éditeur joint un seul documentaire sur ce Blu-ray. Le Chef d’oeuvre maudit d’Henri-Georges Clouzot (26’), donne la parole à Pierre-Henri Gibert (réalisateur du Scandale Clouzot) et Claude Gauteur (historien, auteur de Henri-Georges Clouzot, l’oeuvre fantôme, chez LettMotif). Dans ces entretiens croisés, les intervenants dissèquent à la fois le fond (« un témoignage passionnant de la situation de la France durant l’ Occupation », le scénario inspiré d’un fait divers) et la forme, replacent Le Corbeau dans l’oeuvre du cinéaste (première fois qu’il détient les pleins pouvoirs sur un film), mais évoquent aussi et surtout les conditions de production (la Continental), sans oublier l’interdiction du film à la Libération et la sanction envers Clouzot qui à la base devait ne plus avoir le droit d’exercer son métier à vie ! Si ce module remplit bien son contrat, il est dommage que Studiocanal n’ait pas pu reprendre la présentation du Corbeau par Bertrand Tavernier et Jacques Siclier, disponible sur l’édition DVD sortie en 2003.

L’Image et le son

Le premier chef d’oeuvre d’Henri-Georges Clouzot nous apparaît en édition HD restaurée en 4K par le laboratoire Eclair, à partir du négatif original. Et voilà un Blu-ray qui en met souvent plein les yeux avec une définition qui laisse pantois. Le nouveau master HD au format 1080p/AVC ne cherche jamais à atténuer les partis pris esthétiques originaux. La copie se révèle souvent étincelante et pointilleuse en terme de piqué (les scènes en extérieur), de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux, richesse des gris), de détails ciselés et de relief. La propreté de la copie est sidérante, la stabilité est de mise, la photo retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Les fondus enchaînés sont vraiment les seuls moments où la définition décroche quelque peu, mais cela ne dure que quelques secondes. L’ensemble reste fluide et réellement plaisant. Il serait difficile de faire mieux sans que cela dénature les volontés artistiques.

L’éditeur est aux petits soins avec le film d’Henri-Georges Clouzot puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations et chuintements demeurent inévitables, ainsi qu’un très léger souffle, l’écoute se révèle équilibrée. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises. Si certains échanges manquent de punch et se révèlent moins précis, les dialogues sont dans l’ensemble clairs, dynamiques. Les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.

Crédits images : © Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Lucky Luke – Daisy Town, réalisé par Morris et René Goscinny

LUCKY LUKE – DAISY TOWN réalisé par Morris et René Goscinny, disponible en Blu-ray le 21 novembre 2017 chez Citel Vidéo

Acteurs :  Marcel Bozzuffi, Pierre Trabaud, Jacques Balutin, Jacques Jouanneau, Pierre Tornade, Jean Berger, Roger Carel, Jacques Fabbri, Jacques Legras, Claude Dasset, Jacques Bodoin, Georges Atlas, André Legal, Jacques Hilling, Rosy Varte, Denise Bosc…

ScénarioRené Goscinny, Morris, Pierre Tchernia

Photographie : François Léonard

Musique : Claude Bolling

Durée : 1h16

Date de sortie initiale : 1971

LE FILM

Barman, un whisky bien frappé ! il faut fêter la naissance de Daisy Town ! Hélas, une jolie nouvelle ville attire toujours bandits et desperados, ces chevaliers de la violence et du vice. Seul Lucky Luke peut y ramener la paix et empêcher les braquages et vols de vaches… Les citoyens le choisissent donc comme shérif. Mais au moment où tout semble rentré dans l’ordre, les Dalton s’installent en ville et sèment la terreur chez les habitants. L’éternel combat qui les oppose au célèbre cow-boy reprend alors…

« Nous pensions vous présenter ce spectacle sur écran large. Mais exceptionnellement aujourd’hui, nous vous l’offrons sur super grand écran géant de luxe ! »

C’est une madeleine. Un grand classique de l’animation franco-belge, doublé d’un formidable hommage au western, genre chéri par Morris et René Goscinny, le dessinateur et scénariste de Lucky Luke, l’Homme qui tire plus vite que son ombre. Réalisé par les deux complices et épaulé par Pierre Tchernia au scénario, Lucky Luke (titre original), rebaptisé Daisy Town à la suite de sa transposition en bande dessinée en 1983 et titre utilisé lors de ses diffusions télévisuelles (vous vous rappelez quand vous l’avez découvert sur LaCinq comme l’auteur de ces mots ?) n’a rien perdu de son charme et les gags qui conservent toujours leur efficacité témoignent encore du génie immense de leurs auteurs.

Une caravane de pionniers s’arrête. Ils arrivent au bout de leur traversée et décident à la vue d’une pâquerette, qu’ils y poseront la première planche pour y construire leur ville. Daisy Town verra donc le jour. Mais une ville, surtout s’il s’agit d’une simple et charmante petite bourgade, attire les bandits et ces derniers rendent la vie impossible dans ce coin de paradis autrefois si calme. Arrive alors le seul homme de la situation pour remettre de l’ordre à Daisy Town, Lucky Luke, cow-boy courageux et honnête. Nommé Sherif par les notables de la cité, notre héros va débarrasser la ville de toute sa racaille, y chasser les Dalton et la défendre contre les indiens.

Quel plaisir que ce Lucky Luke – Daisy Town, réalisé en 1971 aux Studios Belvision ! Bourré de charme, d’inventivité, mené à un train d’enfer et multipliant les gags visuels, sonores, ainsi que les références au western (américain et italien), Daisy Town demeure une vraie référence. La fantastique musique de Claude Bolling (Borsalino) et la superbe photographie de François Léonard (Astérix le Gaulois, Astérix et Cléopâtre) d’après les dessins de Morris montrent l’ambition du studio, qui voulait évidemment divertir les spectateurs, tout en traitant son sujet avec sérieux, comme un véritable film. Au casting, les réalisateurs convient leurs amis. C’est Marcel Bozzuffi, inoubliable et indispensable second rôle du cinéma français (Le Deuxième souffle, Z, La Cage aux folles II) qui prête son timbre grave au cowboy solitaire, qui avait encore la clope au bec. A ses côtés, Rosy Varte (Lulu Carabine au dialogue), Nicolas Croisille (Lulu Carabine au chant), Pierre Trabaud, Jacques Balutin, Jacques Jouanneau et Pierre Tornade (Jo, William, Jack et Averell Dalton), ainsi que Jacques Legras (le guichetier de la banque), Roger Carel (le croque-mort, le vautour, le lieutenant de cavalerie), Jacques Fabbri (le maire), Jean Berger (Jolly Jumper), sans oublier Gérard Rinaldi, qui sous le pseudonyme de Gérard Dinal, entonne le très célèbre Quadrille lors des divers square dance organisés dans le saloon de Daisy Town. Ou comment transposer les fêtes bien françaises et leurs chansons à boire dans le Far West Américain.

En 1991, Terence Hill n’aura pas grand-chose à faire pour son Lucky Luke puisque le comédien-réalisateur reprendra non seulement le synopsis du film d’animation, mais également quelques gags et séquences cultes qu’il reproduira à l’identique. Nous ne parlerons pas de la qualité relative de cet essai (un Lucky Luke tout vêtu de blanc, sérieusement), mais ce Luke Luke reste bien plus fidèle à l’univers de Morris/Goscinny que l’horrible opus signé James Huth avec Jean Dujardin dans le rôle principal. Si Daisy Town est un énorme succès à sa sortie avec 2,7 millions d’entrées en France et 2 millions en Allemagne, il faudra attendre 1978 pour que le Poor Lonesome Cowboy reviennent au cinéma dans le chef d’oeuvre La Ballade des Dalton.

LE BLU-RAY

Le Blu-ray de Lucky Luke – Daisy Town, disponible chez Citel Vidéo, repose dans un boîtier classique de couleur bleue. La jaquette indique cette fois « Nouveau Master Haute Définition », même si le visuel aurait pu être plus attractif. Le menu principal est animé et musical.

Le must sur cette édition HD est bien entendu son image restaurée, mais pas ses suppléments qui se résument uniquement à la bande-annonce originale, ainsi qu’un comparatif avant/après la restauration.

L’Image et le son

Bienvenue à Lucky Luke – Daisy Town en Blu-ray (1080p) ! A cette occasion, l’image, présentée enfin dans son format original 1.37, a été entièrement restaurée à partir du négatif original 35mm, par Mediatoon Distribution aux laboratoires Eclair. Tout cela a été scanné en 4K avant de connaître une restauration très poussée en 2K. Pour sa sortie en Haute Définition, le film de Morris et Goscinny a subi un dépoussiérage de premier ordre, comme l’indique le comparatif dans les suppléments. Les couleurs bleues, jaunes et rouges retrouvent un éclat inespéré, le grain original est heureusement respecté, la clarté est évidente et les contrastes revus à la hausse. L’image est stable, propre comme elle n’a jamais été, sans griffures. Si l’on déplore encore quelques effets de pompages sur certains aplats, qui auraient été difficiles à équilibrer sans dénaturer les volontés artistiques, revoir Lucky Luke – Daisy Town dans une belle copie continue de nous émouvoir.

Il n’y a pas que l’image qui a bénéficié d’un lifting, par le désormais incontournable Studio L.E. Diapason, qui s’occupe entre autres de la restauration sonore sur les titres du patrimoine chez Pathé. L’unique piste DTS-HD Master Audio Mono 2.0 qui découle du mixage original disponible sur bandes magnétiques, demeure étriqué avec des échanges souvent aigus, une voix-off grinçante et une B.O. qui frôle la saturation (voir les séquences « Quadrille »). L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © DARGAUD Productions, René Goscinny Productions / Idéfix Studio /  Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Un nuage entre les dents, réalisé par Marco Pico

UN NUAGE ENTRE LES DENTS réalisé par Marco Pico, disponible en DVD et Blu-ray le 29 novembre 2017 chez Gaumont

Acteurs :  Philippe Noiret, Pierre Richard, Claude Piéplu, Jacques Denis, Michel Peyrelon, Jean Obé, Paul Crauchet, Hélène Vincent…

ScénarioMarco Pico, Edgar de Bresson

Photographie : Jean-Paul Schwartz

Musique : Olivier Lartigue

Durée : 1h35

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Deux reporters en mission, Malisard et Prévot dit les « cowboys », sillonnent Paris à la recherche d’un scoop. Un jour les deux enfants de Prévot qu’ils avaient emmenés dans leur tournée de routine disparaissent. C’est le scoop recherché !

C’est l’histoire d’une résurrection, celle du premier long métrage réalisé par Marco Pico (né en 1949), Un nuage entre les dents. Complètement méconnu du grand public, ce film tourné durant l’hiver 1973 n’a connu aucun succès public (226.000 entrées) à sa sortie en avril 1974, malgré ses deux grandes vedettes en haut de l’affiche, Pierre Richard, qui sortait des succès du Distrait (1970) et des Malheurs d’Alfred (1972), qui venait d’exploser avec le triomphe du Grand Blond avec une chaussure noire (1972) d’Yves Robert, qui donne ici la réplique à Philippe Noiret, déjà bien installé, qui revenait du tournage de La Grande Bouffe de Marco Ferreri. Certes Un nuage entre les dents est une comédie, mais sombre et féroce, probablement en avance sur son temps, d’autant plus que les deux comédiens interprètent des personnages antipathiques, négligés, avec une sale barbe pour Pierre Richard, le cheveu gras et le cigare immonde toujours à la bouche pour Philippe Noiret. Deux journalistes, deux rapaces prêts à tout pour obtenir le scoop du jour avec les photos les plus immondes pour l’illustrer.

Malisard (Philippe Noiret) et Prévot (Pierre Richard), reporters d’un journal à fort tirage, sont spécialisés dans la rubrique chiens écrasés. Explosions, accidents, vols, sont leur lot habituel. Au cours d’une enquête, Prévost est obligé de prendre à l’école ses deux petits garçons. Comme leur père, photographe, est débordé de travail, les enfants en profitent pour s’esquiver. Peu après, Prévot et Malisard constatent leur disparition et croient à un enlèvement. Alors que les petits sont raccompagnés chez eux par un conducteur serviable, les deux « cow-boys » se rendent chez un vieux satyre, récemment libéré de prison, qu’ils soupçonnent. Ils vont également interroger à l’hôpital un autre « suspect » alors que celui-ci, accidenté gravement, n’a vraisemblablement pas eu le loisir de s’intéresser aux enfants… Ils font une déclaration au journal, affirmant que l’enlèvement est certain. On recherche officiellement les ravisseurs. Des femmes qui ont aperçu les deux hommes à la sortie de l’école les dénoncent comme des satyres possibles, et font d’eux un portrait-robot que seul Jolivet, stagiaire au journal, trouve ressemblant avec les « cow-boys ».

Un nuage entre les dents est une œuvre étonnante, d’autant plus quand on le découvre aujourd’hui puisque le film a longtemps disparu, quasiment depuis sa courte exploitation dans les salles. Ce qui frappe immédiatement, c’est la façon quasi-documentaire avec laquelle Marco Pico exploite son plateau de jeu, la ville de Paris étant alors creusée de tous les côtés avec des chantiers qui se multiplient aux quatre coins de la capitale. Film hivernal avec ses couleurs froides, Un nuage entre les dents n’a pas peur de montrer la saleté, qui se reflète également sur les personnages. Un élément que les spectateurs n’étaient sans doute pas prêts à accepter.

Mais au-delà de la fable sur la presse à sensation, prête à tout pour faire monter le tirage de son torchon, Marco Pico réalise un film complètement fou et quasi-inclassable, où le sordide et la poésie s’entrecroisent, à l’instar de ce moment suspendu où les cowboys regardent avec des yeux de gamin un véritable éléphant planté au milieu d’un carrefour, la nuit, dans un silence olympien. La caméra virevolte d’un accident à l’autre, les protagonistes passent de bar en bar en éclusant pastis sur pastis dans des bistrots enfumés, cela crie, cela gesticule. S’ils s’étaient déjà donné rapidement la réplique dans Alexandre le bienheureux d’Yves Robert, Pierre Richard, jeune chien fou, agressif, et Philippe Noiret, stoïque et sublime, tout aussi monstrueux, sont ici merveilleux de complicité, y compris dans leurs prises de bec. Si le récit se focalise sur leur improbable aventure, l’intrigue secondaire qui se déroule dans la salle de rédaction du canard pour lequel travaillent les « cowboys » vaut également son pesant.

C’est ici un festival de tronches et de talents, des comédiens qui ont fait le bonheur des spectateurs et qui ont toujours participé à la réussite des films dans lesquels ils apparaissaient : Claude Piéplu, Jacques Denis, Michel Peyrelon, Marc Dudicourt, Gabriel Jabbour, Pierre Olaf, Michel Fortin, Francis Lemaire, Roger Riffard, Paul Crauchet, Francis Lax, Jacques Rispal, Jean Obé et bien d’autres « gueules » et « voix » parfaitement reconnaissables. Certes, le rythme est parfois en dents de scie ou pèche par trop d’hystérie. Ce qui n’empêche pas Un nuage entre les dents d’être une incroyable découverte, comme un petit trésor inattendu et secret qui permet enfin d’être réévalué. 

LE BLU-RAY

Le test du Blu-ray d’Un nuage entre les dents, disponible chez Gaumont, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est fixe et muet, typique de la collection.

En guise de bonus rétrospectif, Jérémie Imbert, coréalisateur avec Yann Marchet du formidable documentaire Pierre Richard, l’art du déséquilibre, co-auteur avec Pierre Richard du livre Je sais rien, mais je dirai tout, mais aussi créateur du site référence CineComedies.com, est allé à la rencontre de Marco Pico (réalisateur), de Pierre Richard himself – qui loue la virtuosité avant-gardiste de la mise en scène du cinéaste – et de l’assistant-réalisateur François Lartigue. Ce module intitulé Les Cowboys sont de retour (28’), en référence à l’une des répliques du film, revient sur la genèse, les thèmes, les conditions de tournage, le casting, les partis pris esthétiques, les intentions et la sortie du Nuage entre les dents. Les propos s’enchaînent sur un rythme soutenu, tandis que quelques images dévoilent le scénario annoté et illustré de Marco Pico. Ce dernier, qui revient également sur ses débuts dans le cinéma, est visiblement aussi ému que fier de voir son film ainsi restauré pour être enfin (re)découvert par le plus grand nombre.

L’interactivité se clôt sur un comparatif avant/après la restauration (4’) et la bande-annonce originale.

L’Image et le son

Gaumont ne se fiche pas des spectateurs et des cinéphiles puisque le film de Marco Pico a connu un véritable lifting de fond en comble. L’élévation HD est frappante du début à la fin, la restauration est étincelante, les contrastes denses, la copie propre et lumineuse. Les détails étonnent souvent par leur précision, les gros plans sont détaillés à souhait, les couleurs très froides retrouvent un éclat inespéré et le piqué demeure acéré. La définition flanche légèrement durant le générique, ainsi que sur les ambiances enfumées, mais cela reste anecdotique.

La piste française DTS-HD Master Audio Mono est plutôt percutante. Aucun souffle n’est à déplorer, ni aucune saturation dans les aigus. Les dialogues sont vifs, toujours bien détachés. L’ensemble est aéré, fluide et dynamique. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Gaumont /  Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Test Blu-ray / Paranoïaque, réalisé par Freddie Francis

PARANOIAQUE (Paranoiac !) réalisé par Peter Graham Scott, disponible en DVD et combo Blu-ray+DVD le 9 novembre 2017 chez Elephant Films

Acteurs :  Janette Scott, Oliver Reed, Sheila Burrell, Maurice Denham, Alexander Davion, Liliane Brousse…

ScénarioJimmy Sangster, d’après le roman de Josephine Tey – Brat Farrar

Photographie : Arthur Grant

Musique : Elisabeth Lutyens

Durée : 1h20

Date de sortie initiale : 1963

LE FILM

Depuis la mort de ses parents dans un accident, Simon Ashby, un jeune homme mentalement très dérangé, vit avec sa tante très attentionnée dans leur superbe demeure des environs de Londres. Lors d’un service funèbre en mémoire du couple disparu, Eleanor, la soeur de Simon, aperçoit la silhouette de leur frère Tony, qui s’est suicidé voilà sept ans. Sa tante et son frère n’accordent aucun crédit à ses déclarations et s’empressent de la croire folle. Le retour d’un Tony bien réel la sauve d’un internement. Tony explique avoir seulement disparu. Il est victime de nombreuses tentatives d’assassinat, alors même qu’il s’éprend de sa soeur…

Même si la Hammer Films demeure emblématique de l’épouvante et du fantastique au cinéma, celle-ci était pourtant loin de se cantonner aux genres qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Des films de pirates et d’aventures sont nés également au sein de la Hammer, y compris des thrillers dramatiques et psychologiques, à l’instar de Paranoïaque (Paranoiac pour les puristes), réalisé par Freddie Francis en 1963, qui découle de deux des plus grands films de l’histoire du cinéma qui venaient alors de secouer la planète entière, Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (1955) et Psychose d’Alfred Hithcock (1960). Opus méconnu de la société de production britannique, Paranoïaque s’avère un film très étonnant, osé et moderne, emblématique de l’ambition et de l’éclectisme de la Hammer.

La famille Ashby est affectée par deux drames : la mort du père et de la mère, il y a onze ans, dans un accident d’avion, et celle de leur fils, il y a huit ans, suicidé à cause d’un mal de vivre qu’il traînait depuis leur disparition. Les autres enfants, Simon et Eleanore, furent placés sous la coupe de leur tante et, tous les ans, en commémoration de ce tragique événement, a lieu une messe. C’est au cours de celle-ci qu’Eleanore aperçoit un homme ressemblant à son frère décédé, Anthony. Taxée de folle, et Simon (alcoolique notoire) ne lui accordant aucune attention, négociant déjà l’héritage qu’il touchera dans trois semaines, la progéniture Ashby va mal.

Si Paranoïaque est une réussite de plus de la Hammer, cela est dû avant tout au choix du metteur en scène, Freddie Francis (1917-2007), qui est à l’époque un chef opérateur très convoité, à qui l’on doit les images inoubliables des Innocents de Jack Clayton (1961), qui avait auparavant travaillé Jack Cardiff sur Amants et filsSons and Lovers (1960), pour lequel il avait remporté l’Oscar de la meilleure photographie. Après cette récompense suprême, Freddie Francis décide de passer à la réalisation. Outre Paranoïaque, il signera L’Empreinte de Frankenstein, Dracula et les femmes, Hysteria et Meurtre par procuration, pour le compte de la Hammer. S’il mettra en scène d’autres films dans les années 1970-80, Freddie Francis réalisera également les inoubliables photographies d’Elephant Man, Dune et Une histoire vraie pour David Lynch, mais aussi celle du remake des Nerfs à vif par Martin Scorsese, ainsi que celle de Glory d’Edward Zwick, qui lui vaudra un second Oscar. Mais pour l’heure, Paranoïaque démontre tout son savoir-faire derrière la caméra.

Il fait tout d’abord appel au chef opérateur Arthur Grant, grand nom de la Hammer, qui réalise une splendide photographie N&B très contrastée. D’autre part, Freddie Francis se révèle être un formidable directeur d’acteurs, même si Oliver Reed (qui sortait de La Nuit du Loup-Garou et du Fascinant Capitaine Clegg) ne s’est jamais réellement fait « diriger ». Le comédien livre une prestation complètement dingue et son personnage de frangin déséquilibré, libidineux et porté sur la bibine – les verres qu’il s’envoie du début à la fin ne semblent pas contenir du jus de fruit – fait l’intérêt du film. Parallèlement, la trame faite de rebondissements en tous genres, flirte aussi avec la censure, qui avait déjà fait réécrire le film en raison, avec une double sous-intrigue incestueuse où une tante (géniale Sheila Burrell) entretient une évidente relation avec son neveu (Oliver Reed), tandis qu’une jeune femme (Janette Scott) s’éprend de celui qui dit être son frère (Alexander Davion), que tout le monde croyait mort.

Secrets de famille dissimulés derrière les belles façades d’une vieille demeure ancestrale de la campagne anglaise, perversion, inceste, usurpation d’identité, quasi-nécrophilie, cadavre dissimulé dans le placard (au sens propre comme au figuré), le panier est lourd, mais Freddie Francis et le scénariste Jimmy Sangster parviennent à rendre Paranoïaque miraculeusement divertissant, tout en flattant l’oeil et les désirs des cinéphiles.

LE BLU-RAY

Paranoïaque est disponible en DVD et combo Blu-ray/DVD chez Elephant Films. Cette édition contient également un livret collector de 20 pages, ainsi qu’une jaquette réversible avec choix entre facings « moderne » ou « vintage ». Le boîtier Blu-ray est glissé dans un fourreau. Le menu principal est animé et musical.

Bravo à Elephant Films qui nous livre ici l’une de ses meilleures présentations. On doit cette grande réussite à Nicolas Stanzick, auteur du livre Dans les griffes de la Hammer : la France livrée au cinéma d’épouvante. Dans un premier module de 10 minutes, ce dernier nous raconte l’histoire du mythique studio Hammer Film Productions. Comment le studio a-t-il fait sa place dans l’Histoire du cinéma, comment le studio a-t-il réussi l’exploit de susciter un véritable culte sur son seul nom et surtout en produisant de vrais auteurs ? Comment les créateurs du studio ont-ils pu ranimer l’intérêt des spectateurs pour des mythes alors tombés en désuétude ou parfois même devenus objets de comédies ? Nicolas Stanzick, érudit, passionnant, passe en revue les grands noms (Terence Fisher bien évidemment, Christopher Lee, Peter Cushing) qui ont fait le triomphe de la Hammer dans le monde entier, mais aussi les grandes étapes qui ont conduit le studio vers les films d’épouvante qui ont fait sa renommée. Voilà une formidable introduction !

Retrouvons ensuite Nicolas Stanzick pour la présentation de Paranoïaque (15’). Evidemment, ce module est à visionner après avoir vu ou revu le film puisque les scènes clés sont abordées. Comme lors de sa présentation de la Hammer, Nicolas Stanzick, toujours débordant d’énergie et à la passion contagieuse, indique tout ce que le cinéphile souhaiterait savoir sur la production de Paranoïaque. Le journaliste replace donc ce film dans l’histoire de la Hammer Films, au moment où le studio souhaitait s’orienter vers d’autres genres afin de ne pas rester enfermé dans le domaine de l’horreur gothique. Les triomphes des Diaboliques et surtout de Psychose donnent l’idée à la Hammer de mettre en route quelques thrillers psychologiques et horrifiques (le plus souvent en N&B), dont le film de Freddie Francis. La carrière de ce dernier, ainsi que le travail – et l’influence – du scénariste Jimmy Sangster, les démêlés avec la censure (qui considérait le premier scénario comme étant une « atroce immondice »), le casting, sont abordés avec intelligence et spontanéité.

L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces et une galerie de photos.

L’Image et le son

Franchement, nous ne nous attendions pas à un résultat aussi beau. Malgré quelques légères imperfections, ce nouveau master restauré HD (1080p, AVC) s’impose aisément comme l’une des plus belles surprises de cette fin d’année. Ce qui frappe d’emblée, mis à part le fantastique usage du cadre large, c’est la densité du N&B et la profondeur de champ qui est souvent admirable. La photo est formidablement nuancée avec une large palette de gris, un blanc lumineux et des noirs profonds. La gestion du grain est fort plaisante. La copie est lumineuse et le rendu des textures est très réaliste.

Le film est disponible en version originale ainsi qu’en version française DTS HD Master Audio mono d’origine. Sans surprise, la piste anglaise l’emporte haut la main sur son homologue, surtout du point de vue homogénéité entre les voix des comédiens, la musique et les effets sonores. La piste française est tantôt sourde, tantôt criarde, au détriment des ambiances annexes et de la partition de Elisabeth Lutyens. Dans les deux cas, point de souffle à déplorer, ni aucun craquement. Le changement de langue est possible à la volée et les sous-titres français non imposés.

Crédits images : © Elephant Films / Universal Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

 

Test Blu-ray / Le Salaire de la peur, réalisé par Henri-Georges Clouzot

LE SALAIRE DE LA PEUR réalisé par Henri-Georges Clouzot, disponible en Édition Digibook Collector Blu-ray + DVD + Livret le 24 octobre 2017 chez TF1 Studio

Acteurs :  Yves Montand, Charles Vanel, Peter van Eyck, Folco Lulli, Véra Clouzot, Dario Moreno, William Tubbs, Jo Dest, Antonio Centa, Darling Légitimus…

ScénarioHenri-Georges Clouzot, Jérôme Géronimi, d’après le roman de Georges Arnaud – Le Salaire de la peur

Photographie : Armand Thirard

Musique : Georges Auric

Durée : 2h32

Date de sortie initiale : 1953

LE FILM

En Amérique Centrale, une compagnie pétrolière propose une grosse somme d’argent à qui acceptera de conduire deux camions chargés de nitroglycérine sur 500 kilomètres de pistes afin d’éteindre un incendie dans un puits de pétrole. Quatre aventuriers sont choisis et entament un voyage long et très dangereux…

Suite à la déconvenue de Miquette et sa mère (1950), son unique comédie, Henri-Georges Clouzot revient à son genre de prédilection, le drame sombre et osons le dire désespéré sur la nature humaine, avec l’un de ses plus grands chefs d’oeuvre, Le Salaire de la peur. En se basant sur le postulat de départ du roman de Georges Arnaud (publié en 1950), le cinéaste trouve matière pour livrer une nouvelle étude du comportement des hommes mis face à une situation extrême. Oeuvre centrale dans la filmographie de son auteur, Le Salaire de la peur a secoué le cinéma mondial, au point de devenir une référence à laquelle moult réalisateurs se réfèrent encore aujourd’hui, à l’instar de William Friedkin qui en signera d’ailleurs un extraordinaire remake en 1977, Le Convoi de la peurSorcerer, ou bien encore Steven Spielberg qui a toujours évoqué le film comme l’un des plus grands chocs de sa vie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Le Salaire de la peur, énorme production dont le tournage s’est étalé sur une année entière en raison de problèmes météorologiques, n’a pas pris une ride plus de 65 ans après sa sortie et laisse le spectateur toujours aussi sonné.

L’action se déroule à Las Piedras, un village d’Amérique centrale. Quelques aventuriers européens, échoués là, attendent de gagner l’argent nécessaire pour repartir. Alors qu’un incendie ravage un puits de pétrole exploité par une société américaine situé à quelques centaines de kilomètres, la compagnie recherche quatre hommes pour transporter une cargaison de nitroglycérine, répartie en deux camions, afin d’éteindre le gigantesque brasier. Les Français Jo et Mario, ainsi que l’Italien Luigi et l’Allemand Bimba, sont embauchés. Contre une importante rémunération (2000 dollars par tête de pipe), ils s’engagent alors sur les routes dévastées du pays avec leur cargaison explosive.

Henri-Georges Clouzot se focalise sur une poignée d’hommes qui en fuyant leur passé, se retrouvent à croupir au milieu de nulle part, au milieu de la corruption, de la misère et de l’ennui, en attendant une illusoire échappatoire. Jusqu’à ce qu’une situation inespérée s’offre à eux et peu importe s’ils doivent mettre leur vie en péril, puisqu’ils n’ont absolument plus rien à perdre. Déjà condamnés, les personnages, merveilleusement interprétés par Yves Montand (l’une de ses meilleures incarnations), Charles Vanel, Peter ban Eyck, Folco Lulli et Véra Clouzot dans sa première apparition au cinéma, s’agrippent tout de même à cette dernière chance. Le cinéaste filme son paysage comme un enfer, la petite bourgade imaginaire de Las Piedras comme un résidu de Pandémonium, où les habitants et âmes en transit grillent sous un soleil ardent, en attendant que le temps passe ou qu’un petit boulot se libère. Henri-Georges Clouzot a toujours regardé ses congénères avec l’oeil d’un entomologiste. Pas étonnant que le film démarre par un gros plan sur des insectes, avant de présenter l’artère principale du village où tous les protagonistes vont nous être présentés un par un, avant leur inévitable confrontation.

Certes, l’exposition est longue (une heure), mais finalement ce rythme languissant ne fait qu’appuyer l’expérience physique des protagonistes, dont les corps fatigués, usés par le soleil, ne demandent qu’à se mouvoir, pour pouvoir enfin déguerpir de ce trou à rat. Film de terre et de feu, de poussière, où le pétrole, unique source locale de richesses, semble remplacer l’eau, Le Salaire de la peur est un road-movie existentiel (souvent un pléonasme) où des âmes damnées et déracinées bénéficient d’une dernière chance pour ressusciter et s’enfuir des Enfers. Clouzot filme le parcours de ses personnages comme un chemin de croix, au sens propre comme au figuré d’ailleurs puisque certains anciens ouvriers qui ont perdu la vie durant la construction de dangereux tronçons, ont été ensevelis le long de la voie empruntée. Les épreuves et péripéties se succèdent, certains perdent leur sang-froid, d’autres au contraire se révèlent beaucoup plus téméraires qu’ils ne le laissaient paraître.

Cinéaste fataliste, dont la noirceur n’a d’égale que celle du pétrole, Henri-Georges Clouzot crée une tension de chaque instant par l’intermédiaire du cadre savamment étudié, par un montage nerveux, la sécheresse des paysages (d’autant plus incroyable que le film a été intégralement tourné en extérieur en France, en Camargue plus précisément) par la photo incandescente d’Armand Thirard qui brûle les rétines et par l’absence quasi-totale de musique qui ne fait que renforcer l’aspect parfois documentaire de sa mise en scène. Une fois lancés dans cette aventure de la dernière chance, les personnages ne peuvent plus revenir en arrière, ou alors uniquement pour reprendre un élan qui leur permettra de traverser quelques chemins escarpés, presque en volant comme Icare au-dessus de la route « en tôle ondulée ». Mais ces ailes seront éphémères, brûlées même, puisque le destin n’aura de cesse de les rattraper, jusqu’à les ensevelir sous une nappe de pétrole, qui contrairement à un bain baptismal, se révélera en fait être leur extrême-onction.

Immense succès international à sa sortie (7 millions d’entrées en France), Le Salaire de la peur est récompensé par le BAFTA du Meilleur film en 1955, l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1953, le prix d’interprétation masculine pour Charles Vanel et le Grand Prix (équivalent de la Palme d’Or qui n’était pas encore créée à l’époque) du Festival de Cannes la même année.

LE BLU-RAY

Le Blu-ray du Salaire de la peur est disponible chez TF1 Studio (collection Héritage), dans une édition Digibook Collector Blu-ray + DVD + Livret. Le livret retraçant l’histoire du film et présenté par Pascal Mérigeau (52 pages), ne nous a pas été envoyé.

Le premier supplément de cette édition est une rencontre (19’) entre le journaliste Samuel Blumenfeld (Le Monde) et Jean Ollé-Laprune (historien du cinéma). Les deux hommes reviennent sur la genèse du Salaire de la peur, replacent ce chef d’oeuvre dans la filmographie d’Henri-Georges Clouzot (après son film documentaire avorté sur le Brésil), la rencontre du cinéaste avec Véra Clouzot (sur laquelle les deux compères reviendront plus en détails sur l’édition HD des Diaboliques), le roman « très ampoulé, grotesque et qui a très mal vieilli » de Georges Arnaud qui a servi de point de départ pour le réalisateur. L’épopée du tournage en extérieur est ensuite longuement abordée avec la reconstitution de l’Amérique du Sud en Camargue, le tout ponctué par quelques anecdotes de production (les prises de vue ont été interrompues pendant sept mois), ou en mentionnant le retard sur le plan de travail dû à des pluies diluviennes. Ensuite, Samuel Blumenfeld et Jean Ollé-Laprune se penchent un peu plus sur le fond, notamment à partir de la scène emblématique du film, celle du passage du camion dans la nappe de pétrole. Le remake de William Friedkin, que le journaliste adore, au contraire de l’historien du cinéma, est évidemment évoqué, tout comme le méconnu Violent Road de Howard W. Koch, réalisé en 1958, qui s’inspire également du film de Clouzot.

Ne manquez pas l’intervention du brillant réalisateur-scénariste Xavier Giannoli (21’). Posément, le metteur en scène de Quand j’étais chanteur, A l’origine et Marguerite revient sur sa découverte du cinéma d’Henri-Georges Clouzot, avant de disséquer son style, ses personnages et ses thèmes de prédilection, pour ne pas dire ses obsessions. Se dessinent alors les formidables portraits d’un homme complexe et d’un artiste aussi ambitieux que perfectionniste.

Xavier Giannoli laisse ensuite sa place à l’un de ses confrères, le cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho (17’). Le réalisateur de Memories of Murder, The Host ou bien encore Snowpiercer, le Transperceneige et Okja, aborde cet entretien en indiquant que Le Salaire de la peur est l’une de ses plus grandes influences, tout en se remémorant la première fois qu’il a vu le film à l’âge de 10 ans. Un traumatisme toujours présent, intact, « une expérience primitive » à laquelle il se réfère constamment. Ensuite, longuement, le réalisateur s’exprime sur la séquence du camion dans la nappe de pétrole et de la jambe broyée du personnage interprété par Charles Vanel. Une scène qu’il revit tout en en parlant. Bong Joon-ho compare Henri-Georges Clouzot au cinéaste japonais Shōhei Imamura, dans leur sens commun d’observation sur les êtres humains, tels des entomologistes, tout en indiquant trouver Clouzot « vraiment cruel, mais d’une cruauté attirante ».

Faisons maintenant un petit tour du côté du laboratoire Hiventy, spécialisé dans la restauration de films, en compagnie de Benjamin Alimi, directeur commercial. Ce dernier nous propose une visite de leurs locaux, tout en abordant chacune des étapes de la restauration du Salaire de la peur. Au total, 500 heures de restauration, à la main, plan par plan, image par image, auront été nécessaires afin de redonner à l’image son éclat original, tout en préservant sa nature argentique et en équilibrant l’étalonnage, les contrastes et la densité du N&B, sous la supervision du chef opérateur Guillaume Schiffman, grand admirateur et connaisseur du travail d’Armand Thirard, directeur de la photographie du chef d’oeuvre d’Henri-Georges Clouzot.

TF1 Studio a également mis la main sur deux documents d’archives (1970 et 1988), dans lesquels Yves Montand s’exprime sur Le Salaire de la peur (3’).

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Le Salaire de la peur a été restauré en 4K, à partir du négatif original nitrate, scanné en immersion. L’étalonnage a été supervisé par le chef opérateur Guillaume Schiffman (The Artist, les deux opus d’OSS 117), mandaté par TF1 Studio. Le Salaire de la peur renaît littéralement devant nos yeux ébahis, malgré certains contrastes légers et un N&B qui aurait pu être encore plus affirmé, malgré des blancs luminescents. Seul le générique apparaît peut-être moins aiguisé, mais le reste affiche une stabilité exemplaire ! Les arrière-plans sont bien gérés, le grain original est respecté, le piqué est souvent dingue et les détails regorgent sur les visages des comédiens (voir la scène de l’immersion dans le pétrole). La restauration du film est ébouriffante. Aucune rayure, déchirure, aucun éclat de gélatine, scratch, rien ne parasite l’écran. Tout a été éradiqué par le scalpel numérique, l’encodage AVC consolide l’ensemble avec brio du début à la fin, les séquences nocturnes sont certes plus légères, surtout sur les séquences tournées en transparence, mais le relief des matières reste palpable. La photo du chef opérateur Armand Thirard n’a jamais été aussi resplendissante et le cadre au format respecté 1.37, brille de mille feux.

Egalement restaurée à partir d’un contretype sonore, la piste DTS-HD Dual Mono instaure un haut confort acoustique avec des dialogues percutants (peu de répliques chuintantes ou sourdes à déplorer) et une très belle restitution des ambiances annexes. Aucun souffle sporadique ni aucune saturation à l’horizon. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © TF1 Studio / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr