Test DVD / Désir meurtrier, réalisé par Shōhei Imamura

DESIR MEURTRIER (Akai Satsui) réalisé par Shôhei Imamura, disponible en DVD le 15 novembre 2016 chez Elephant Films

Acteurs : Masumi Harukawa, Kô Nishimura, Shigeru Tsuyuguchi, Yûko Kusunoki, Ranko Akagi, Tomio Aoki

Scénario : Shôhei Imamura, Shinji Fujiwara, Keiji Hasebe

Photographie : Shinsaku Himeda

Musique : Toshirô Mayuzumi

Durée : 2h30

Date de sortie initiale : 1964

LE FILM

Après avoir accompagné son mari à la gare et envoyé son fils chez sa belle-mère, Sadako est suivie jusque chez elle par un jeune homme. Celui-ci force la porte de sa maison et la viole. La jeune femme, humiliée, en garde le secret. Quelques jours plus tard, Hiraoka, revient et lui explique que malade du cœur, il ne lui reste que peu de temps à vivre. Une passion déchainée va lier ces deux amants et Sadako ne voit qu’une seule issue: la mort.

Désir meurtrier (Akai Satsui) est considéré à juste titre comme étant l’un des plus grands films de Shôhei Imamura. Réalisé en 1964, entre La Femme insecte (1963) et Le Pornographe (1966), ce septième long métrage du maître japonais demeure un sommet dans une filmographie pourtant exigeante. Dans une maison en bois, au bord d’une voie ferrée, vit un couple modeste dont la femme, Sadako, une femme un peu naïve et que son compagnon n’a pas reconnu comme épouse légitime, mène une vie résignée, entièrement vouée à son foyer, à son mari, à la mère (cruelle) de celui-ci et à son fils adoptif. Un soir d’hiver, en l’absence de son époux, elle est violée par un cambrioleur qui s’est introduit chez elle. Cet homme, Hiraoka, provoque un déclic dans sa vie monotone, un électrochoc révélateur. Sadako décide de garder le silence et n’en dit rien à son mari, Koichi. Quelques jours plus tard, son agresseur, Hiraoka, revient et lui explique qu’il est atteint d’une maladie du cœur et qu’il ne lui reste plus que quelques jours à vivre. Contre toute attente, ils entament une relation passionnelle, malsaine et morbide, qui n’échappera pas à un funeste dénouement.

Remarquable drame traitant de la condition féminine dans une société où elle n’a quasiment aucun droit ni autorité, Désir meurtrier étend son histoire sur près de 2h30 afin de faire ressentir le chamboulement physique et psychologique de son personnage principal. Complexe et ambigu, ce portrait de femme soumise car comme l’indique un carton en présentation « Il faut obéir aux règles de la famille car sans règles un foyer ne peut pas fonctionner » fustige les rites et coutumes éculés, pour ne pas dire stupides, d’un pays qui souhaite pourtant s’ouvrir au monde moderne et en plein boom économique. Originale, virtuose, passionnée, cette étude sur la psyché féminine subjugue également sur la forme. Soutenu par la merveilleuse photographie de Shinsaku Himeda, Shôhei Imamura joue avec le cadre, qu’il fige pendant quelques secondes, avant de proposer un montage plus découpé, qui reflète le trauma et la révélation de Sadaka, magnifiquement interprétée par Masumi Harukawa, qui se livre corps et âme à la caméra du cinéaste. On s’attache très vite à cette jeune femme bien en chair, enfermée chez elle et qui voit quotidiennement les trains passés devant chez elle, symboles d’un ailleurs qu’elle ne connaîtra probablement jamais.

Comme dans la plupart des films d’Imamura, Désir meurtrier est marqué par une dimension documentaire, à l’instar de la scène d’au revoir au mari de Sadaka au début du film, dans laquelle on retrouve l’oeil aiguisé de l’entomologiste qu’était le réalisateur depuis son premier film et qui aimait étudier ses contemporains. Ce mari entretient une relation essentiellement charnelle avec une collègue de bureau, qu’il connaissait avant de rencontrer Sadako. Apprenant que cette dernière entretiendrait également une liaison, la jalousie le pousse à espionner sa femme par l’intermédiaire de sa propre maîtresse. Les pulsions sexuelles dominent et renvoient les êtres humains à leur animalité, qui se laissent dévorer et conduire par leurs envies soudaines, qu’ils n’expliquent pas. C’est évidemment le cas pour Sadako qui pour la première fois de sa vie ressent le plaisir et l’épanouissement sexuel durant le viol, scène par ailleurs très impressionnante par sa crudité, qui a fait scandale à la sortie du film. On pense évidemment au récent et formidable Elle de Paul Verhoeven, dans lequel Isabelle Huppert incarne une femme qui entretient une relation trouble avec l’homme qui l’a violée.

C’est dire si Shôhei Imamura était en avance sur son temps, ainsi que sur ses confrères de la nouvelle vague japonaise, et que Désir meurtrier demeure toujours aussi provocateur et violent, y compris dans sa forme éclatée et marquée par des flashbacks. Un indispensable et audacieux chef d’oeuvre.

LE DVD

Désir meurtrier est à ce jour le seul film de Shôhei Imamura édité seulement en DVD par Elephant Films dans sa collection Cinéma Master Class – La Collection des Maîtres, avec un joli fourreau cartonné. Le visuel de la jaquette est vraiment très élégant, tout comme le menu principal, animé et musical.

En plus d’un livret de 20 pages intitulé Shōhei Imamura, maître des désirs inassouvis par Bastian Meiresonne, de bandes-annonces (dont celles de la première salve Imamura sortie fin 2015 chez l’éditeur), d’une galerie de photos et des credits du disque, nous trouvons une excellente présentation de Désir meurtrier par Stephen Sarrazin (11’). Notre interlocuteur, spécialiste du cinéma japonais, est ici plus prolixe que sur les autres films de cette salve et commence d’emblée en indiquant que nous sommes ici en présence d’un des très grands films du maître. Les thèmes du film sont analysés, tout comme la dimension sociale et culturelle de ce chef d’oeuvre. L’histoire et les personnages sont également passés au peigne fin par Stephen Sarrazin.

L’Image et le son

Dommage de ne pas bénéficier d’un master HD pour ce titre, car la copie s’en sort très bien. Les partis-pris de la photographie de Shinsaku Himeda sont respectés, la copie est plutôt stable et propre, le cadre large ne manque pas de détails et la définition demeure solide tout du long. Le N&B aurait pu être plus dense et quelques fourmillements restent notables à plusieurs reprises, surtout sur les séquences sombres, mais ce DVD est vraiment très beau.

Point de version française, mais une uniquement la piste originale japonaise Dolby Digital Mono. Cette unique option acoustique s’avère riche, propre et précise. Le report des voix est appréciable, tout comme la musique, malgré quelques échanges sensiblement plus étouffés, mais les saturations sont évitées et l’ensemble est au final suffisamment dynamique et sans souffle parasite.

Crédits images : © Elephant Films / Captures DVD : Franck Brissard

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