Test DVD / Les Marais de la haine, réalisé par Ferd & Beverly Sebastian

LES MARAIS DE LA HAINE (‘Gator Bait) réalisé par Ferd & Beverly Sebastian, disponible en DVD le 2 octobre 2018 chez Artus Films

Acteurs : Claudia Jennings, Sam Gilman, Douglas Dirkson, Clyde Ventura, Bill Thurman, Don Baldwin, Ben Sebastian, Janit Baldwin…

Scénario : Beverly Sebastian

Photographie : Ferd Sebastian

Musique : Ferd Sebastian

Durée : 1h25

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Depuis la mort de ses parents, Désirée Thibodeau s’occupe de son jeune frère Big T et de sa petite sœur Julie, n’hésitant pas pour subsister à aller chasser l’alligator avec son fusil de chasse dans les marécages de sa Louisiane natale. Un jour, le fils du shérif, Billy Boy, et son copain Ben, l’aîné d’une fratrie de rednecks, le clan Bracken, la surprennent en plein braconnage. Refusant leurs avances contre leur silence, la virée tourne mal et Ben est tué accidentellement par Willy Boy. Ce dernier laisse entendre à son père que Désirée est la meurtrière. Apprenant la nouvelle, T.J., le père de Ben, réunit alors ses autres fils, Leroy et Pete, et partent donner la chasse à la jeune femme pour faire justice eux-mêmes. Le groupe s’enfonce dans les marécages, ignorant que les chasseurs d’un jour peuvent être le gibier du lendemain.

Il y a les cons, comme celui immortalisé par Jacques Villeret dans le film de Francis Veber, mais il y a aussi les péquenauds, les pedzouilles, les ploucs, les culs-terreux ou comme on dit aussi aux Etats-Unis, les rednecks. Il ont eu eux aussi leur heure de gloire au cinéma – la Hicksploitation – et n’ont jamais cessé d’apparaître sur le grand écran comme dans Délivrance de John Boorman (1972). En 1974, le couple Beverly et Ferd Sebastian, qui venait d’enchaîner The Hitchhikers et The Single Girls, produit, écrit et réalise (Ferd se charge également de la musique et de la photographie) un jalon de ce sous-genre d’exploitation, Les Marais de la haine, également connu sous son titre original, ‘Gator Bait. Le sexe, la boue, les personnages dégénérés, la violence, le viol se mêlent comme du gloubi-boulga, dans le seul but d’attirer le spectateur et d’amasser le plus possible de billets verts. Les Marais de la haine aurait pu passer inaperçu, mais voilà, le film est porté par la beauté incandescente et sauvage de Claudia Jennings. C’est grâce à elle, plus qu’à son récit simpliste, que ‘Gator Bait a su traverser les décennies et devenir un véritable film culte.

Les Marais de la haine est construit sur le principe d’une boucle. Les mêmes événements reviennent quasiment systématiquement, les courses-poursuites dans les bayous se ressemblent et sont filmées de la même façon, les banjos, les harmonicas et les violons s’affolent, la chevelure flamboyante de Claudia Jennings vole au vent tandis qu’elle échappe à ses poursuivants. Il y a quelque chose de crade dans ce royaume poisseux, où les alligators et les serpents venimeux mènent la danse au milieu de personnages azimutés où le sexe semble être la seule chose qui les anime. Mais heureusement, quand l’un des jeunes commence à s’exciter sur sa propre sœur, le père, barbe hirsute et pouilleuse, n’hésite pas à donner du fouet afin de les ramener un tant soit peu à la raison. Pour pallier à toutes ces frustrations, mais aussi et surtout pour venger la mort d’un de leurs membres, tout ce beau petit monde s’allie pour aller chasser la belle amazone au short en jean bien moulé, puisqu’elle est accusée (à tort) d’être la meurtrière. Mais c’était sans compter sur la débrouillardise de la donzelle en question.

Et quelle nana ! Ancienne réceptionniste pour le magazine Playboy, Claudia Jennings est très vite remarquée et devient playmate du mois en novembre 1969, puis celle de l’année 1970. Les photographes se l’arrachent, le cinéma lui fait de l’oeil et elle commence à se produire dans des séries B aux titres évocateurs comme Ça cogne et ça rigole chez les routiers de Mark L. Lester et The Unholy Rollers de Vernon Zimmerman. Les Marais de la haine restera son film le plus célèbre. Plongée dans la drogue et l’alcool, un des rôles principaux de la série Drôles de dames lui échappe. Elle meurt dans un accident de la route juste avant son trentième anniversaire et après avoir joué dans Fast Company de David Cronenberg. Bien que réalisé cinq ans avant sa mort, Les Marais de la haine est comme qui dirait son testament à l’écran. C’est bien simple, quand elle n’est pas à l’écran, le spectateur commence à trouver le temps long, surtout en raison des dialogues redondants et des situations peu inspirées. Le cadre est sympathique, la musique enjouée, le tout bien décérébré, mais nous n’avons d’yeux que pour Claudia Jennings. Bad-ass à souhait quand elle prend la pétoire, couteau à la taille, chemise entrouverte qui laisse apparaître généreusement ses formes, la jeune actrice impose une véritable présence, magnétique, sensuelle, dangereuse, et l’on se met à jubiler de la voir échapper à la bande de bouseux, mais surtout de les voir disparaître l’un après l’autre des suites des « Boum j’t’attrape » tendus par la rousse incendiaire.

Typique du film drive-in tourné en un temps-record (dix jours seulement), Les Marais de la haine se regarde encore comme une amusante curiosité – savoureux mélange de survival et de rape & revengeanimée par le charme ravageur d’un des sex-symbols des années 1970. Gros succès à sa sortie, ‘Gator Bait connaîtra une suite tardive en 1988, ‘Gator Bait II : Cajun Justice aka La Vengeance de la femme au serpent, toujours réalisée par le couple Sebastian.

LE DVD

Artus Films ne manque pas d’idée et encore moins d’audace. L’éditeur lance la collection Rednecks ! Et pour ouvrir le bal, rien de mieux que Les Marais de la haine, disponible en DVD dans un superbe slim Digipack au visuel affriolant avec Claudia Jennings toujours aussi sublime. Le menu principal est fixe et musical.

L’interactivité est chargée avec plus d’une heure de suppléments. L’élément le plus conséquent est l’entretien (44’) avec Maxime Lachaud, auteur du livre Redneck movies : Ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain (Rouge Profond, 2014). L’essayiste et journaliste français semble peu à l’aise devant la caméra et peine à donner de l’intérêt à ses propos. Il présente ici l’origine des rednecks, leur apparition dans la littérature et au cinéma (avec des titres qui font envie), avant de devenir une vraie figure de la culture pop. Maxime Lachaud intervient également sur le film qui nous intéresse avec quelques informations sur le tournage, les réalisateurs et le casting. Si l’ensemble manque de rythme, on y trouve les informations qu’on espérait y glaner, donc le bilan est positif.

Nous passons à un « making of » qui s’avère un entretien avec les deux réalisateurs, réalisé en 2012 (19’). Confortablement assis dans leur résidence en Floride, le couple Sebastian, Beverly et Ferd, répondent aux questions des fans. Les conditions de tournage sont abordées, les souvenirs s’enchaînent. Beverly explique que le rôle principal a été écrit spécialement pour Claudia Jennings, tandis que Ferd explique comment certaines séquences ont été tournées, avec seulement une caméra Arriflex 35mm harnachée.

Nous sommes plus sceptiques concernant le bonus suivant, à savoir le « témoignage » de Beverly et Ferd Sebastian (12’), qui font ici la promo pour leur association destinée à sauver les chiens lévriers (qui aident également à la réhabilitation des prisonniers), tout en voulant apprendre à créer un « partenariat » avec Jésus, qui selon Ferd a entendu ses prières et l’a sauvé d’une mort imminente alors qu’il était tombé très gravement malade du coeur. Ferd avoue qu’il avait refusé que ses films, « violents et sexuels », ressortent au cinéma ou soient exploités en VHS et DVD, suite à cette expérience miraculeuse. Jusqu’à ce qu’il ait enfin trouvé la « paix intérieure », ou que l’argent venait à manquer, mais ça Ferd ne le dit pas.

Nous trouvons ensuite un spot vidéo (1’30), un document collector pour la sortie française en VHS des Marais de la haine, distribuée par Paramount sous la bannière CIC Vidéo.

L’interactivité se clôt sur les bandes-annonces française et anglaise qui racontent tout le film.

L’Image et le son

Selon Ferd Sebastian, une copie en excellent état des Marais de la haine aurait été retrouvée dans les archives de la Paramount. Une restauration était selon lui inutile. Le résultat fait penser à un transfert d’une VHS sur DVD. Toutefois, la propreté est effectivement éloquente, malgré quelques petits points blancs. L’image est stable, mais la définition est sans cesse aléatoire. Au cours d’une même séquence, un champ-contrechamp apparaît tantôt flou, tantôt net avec un piqué suffisant. La colorimétrie est volontairement boueuse et délavée, sensiblement dorée dans les marécages et la photo signée Ferd Sebastian lui-même est assez bien restituée. Les conditions sont donc remplies pour (re)découvrir Les Marais de la haine dans des conditions dignes de celles d’un drive-in. Le master est au format 1.37 original respecté.

N’hésitez pas à sélectionner la version française, au doublage particulièrement gratiné. Par contre, ce que vous gagnerez en « cachet Bis », vous y perdrez en ambiances annexes. Nettement moins dynamique que la piste anglaise, la VF est quand même très amusante, surtout quand les doubleurs s’en donnent à coeur joie dans les insanités. La version originale semble plus homogène, en dépit de dialogues parfois sourds.

Crédits images : © Artus Films /  Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr